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son rigide et froid calvinisme natal, à un mysticisme catholique tout imprégné de lumière et de paix, la « religiosité » de son plus jeune frère s’est, de plus en plus, dépouillée de toute apparence confessionnelle, ou même dogmatique, pour aboutir à un vague déisme d’où il n’y avait pas jusqu’à l’espérance d’une vie future qui ne finît par être rejetée, — sauf pour Francis Newman à déclarer plus tard, sur son lit de mort, qu’il regrettait de n’avoir pas suffisamment aperçu et pratiqué la doctrine personnelle du Christ, sous celle de saint Paul. Et cette évolution des croyances du plus jeune frère, s’accomplissant parallèlement à celle de son aîné, n’a pas manqué de produire, elle aussi, un retentissement profond et durable. Vers le même temps où les âmes catholiques accueillaient avec une ferveur respectueuse les sermons et la pathétique Apologie de l’oratorien de Birmingham, un nombre égal de lecteurs se nourrissaient des Mélanges et des Phases de la Foi de l’autre Newman, où des qualités littéraires moins parfaites, à coup sûr, mais non pas moins variées et originales, ni moins rehaussées de flamme poétique, se trouvaient employées à la destruction impitoyable non seulement des dogmes « papistes, » mais de toute foi chrétienne comportant une part de révélation ou de surnaturel. Chacun des deux frères apparaissait comme un apôtre, merveilleusement sincère, éloquent, et zélé : chacun rassemblait autour de soi un groupe de disciples toujours grossissant. Et l’abîme sans fond qui les séparait s’est manifesté plus clairement encore à tous les yeux lorsque, en 1890, après la mort du cardinal, son frère Francis s’est cru tenu de publier, sur les années de jeunesse de son illustre aîné, un petit recueil de souvenirs à qui l’âpre sévérité des jugemens et la sourde, mais farouche, hostilité de l’accent donnaient le caractère imprévu d’un véritable pamphlet.

L’auteur reconnaissait pourtant que jamais son frère John-Henry ne lui avait fait aucun mal, et que, même, « jamais la différence de leurs opinions n’avait créé entre eux le moindre désaccord personnel. » Loin de là, force lui était d’avouer que, « durant toute sa jeunesse, il avait reçu de son aîné des bienfaits inestimables. » Il disait encore : « Pendant cette période de ma vie, c’est mon frère qui a subvenu à mon entretien, et cela en un temps où il ne savait pas d’où lui viendrait, à lui-même, le pain du jour suivant. » Mais telle était l’opposition de leurs vues, — tous deux attachant infiniment plus de prix à leurs idées qu’au soin de leurs intérêts individuels, — tel était cet abîme creusé entre eux par la manière dont l’ « Esprit » avait « soufflé où il avait voulu, » que l’on avait la tristesse de voir ce vieillard de plus