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C’est une tâche ingrate que celle de mettre Jeanne d’Arc à la scène. Tous ceux qui ont tenté l’aventure, sans en excepter les plus grands, ont à peu près échoué. L’idéale figure de la sainte et de l’héroïne s’accorde mal avec les exigences et les conventions théâtrales. Aussi M. Moreau, afin d’éluder en partie la difficulté, s’est-il borné à choisir, pour sujet de sa pièce, les derniers épisodes de la vie de Jeanne, ceux qui, en l’absence de tout arrangement scénique et par eux-mêmes, forment déjà un drame émouvant et grandiose : le procès et le supplice. Donc nous sommes à Rouen, dans le château où le tout jeune Henri VI, « roi de France et d’Angleterre, » règne sous la tutelle du régent, son oncle, le duc de Redford. Ce personnage de Bedford est le plus original de la pièce : c’est l’invention, je n’ose dire la trouvaille, de l’auteur. Le duc a visité la prisonnière dans son cachot, et, depuis lors, il est en proie à d’étranges malaises, torturé par d’inexplicables angoisses, hanté par des visions qui l’affolent. Lequel l’emportera de l’amour que Bedford, sans se l’expliquer, éprouve pour l’héroïne, ou de l’effroi que lui inspire la sorcière dont il subit malgré lui la domination ? Ces remous détermineront tout le mouvement de la pièce. Si le second acte, qui est proprement celui du procès, suit de très près les textes authentiques, à l’acte suivant qui est celui de la prison, nous sommes un peu lâchés de voir, dans le cachot de Jeanne, Bedford se rouler aux pieds de la prisonnière, implorer son pardon, lui soumettre un plan d’évasion. En somme, le personnage semble bizarre, incohérent. Et il en est ainsi chaque fois qu’un dramaturge s’avise de jeter une broderie nouvelle sur la trame de cette histoire si belle en sa simplicité.

On pouvait craindre de voir au dernier acte le tableau du supplice, avec bûcher, flamme, foule, etc. On ne saurait trop louer l’auteur de nous avoir épargné cette mise en scène de cirque. Il a imaginé, avec beaucoup de tact, de ne nous faire assister à la scène qu’indirectement : c’est sur les visages des assistans, c’est à travers leurs cris et leurs imprécations, que nous suivons la tragédie des dernières minutes.

Il était bien impossible que Mme Sarah Bernhardt, une fois de plus en sa vie, n’interprétât pas le rôle de la bonne Lorraine qu’Anglais brûlèrent à Rouen. Tour à tour véhémente et attendrie, ardente et craintive, naïve et soulevée par la foi, elle a réussi en plus d’un endroit à faire passer parmi nous un frisson d’émotion. Le duc de Bedford, c’est M. de Max. Je n’insiste pas.


Si le Procès de Jeanne d’Arc pèche par excès d’ingéniosité, le défaut