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Gymnase, et, alors que tant de choses se sont si profondément transformées, elle subsiste à peu près immuable. M. Marcel Prévost s’y est conformé. Il a tenu à nous donner une pièce méthodiquement composée, savamment équilibrée, où tout fût mesuré, dans les actes et dans le langage. Voilà qui est parfait. Mais en subissant cette contrainte, M. Marcel Prévost ne s’est pas aperçu, ou plutôt il a dû constater en regrettant de n’en pouvoir mais, qu’il y avait une sorte d’opposition constante entre le ton de sa comédie et la nature du sujet, des personnages et de leurs sentimens.

Le sujet est très hardi, et, comme les sujets très hardis, il est violemment exceptionnel. Une jeune femme découvre que le mari qu’elle a épousé par amour est un faussaire. Après cette découverte, et quelles qu’aient pu être ses tortures et ses angoisses devant une telle révélation, elle l’aimera encore. Tel est l’amour, ou du moins telle est une certaine sorte d’amour. A mon avis, l’unique moyen de faire passer à la scène une donnée aussi peu conforme à l’opinion moyenne, c’était de lancer le drame à fond de train dans une action brutale, à la manière de M. Bernstein. Certes, je n’aime guère cette manière, mais je reconnais qu’en certains cas elle s’impose. Un homme qui pour arriver commet des faux, a beau invoquer les nécessités de la lutte pour la vie : ce lutteur est un forban. La femme qui, ayant cru épouser un honnête homme, s’aperçoit que cet homme est un chenapan, qu’il a trompé la confiance des autres, et celle de la famille où il entrait, et celle même de sa fiancée, et qui, en dépit du mépris qu’elle ne peut s’empêcher d’éprouver pour lui, continue à l’aimer, cette femme-là est dominée par la mémoire des sens. Je veux bien que ce soit de l’amour, mais au sens le moins noble du mot. Pour l’aventure de cet escroc et de cette névrosée, une atmosphère d’orage eût convenu. Le calme où elle se déroule au Gymnase nous laisse plus libres de la juger. La vilenie des personnages s’accuse avec un relief qui est tout ce qu’on peut imaginer de plus moral, je n’en disconviens pas, mais qui nous rend terriblement rebelles à cette sorte de sympathie spéciale que nous avons besoin de ressentir pour les acteurs d’un drame auquel nous nous intéressons.

L’interprétation tient tout entière dans les deux rôles de Pierre et de. Thérèse. Mlle Brandès a été une Thérèse de grande allure, passionnée, vibrante, douloureuse. M. Dumény a campé, en antithèse, un type, très réussi en sa sécheresse, d’arriviste sans scrupules, dont on voit bien que le prétendu repentir est tout juste une concession à certaines formes surannées de langage.