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au rôle du vieux Gaucheron un relief inattendu et l’a tiré au premier plan. Mélange de bonhomie, de finesse, d’énergie et de bonté, cette physionomie est devenue éminemment celle du personnage sympathique. En vérité, toute la salle n’avait d’yeux que pour lui, comme si la société en péril dût attendre de ses pareils son salut. Ce grand succès personnel, tout à fait légitime, a eu pour résultat de mettre dans l’ensemble un certain déséquilibre. Car l’ensemble de l’interprétation est seulement honorable. M. Lérand, si remarquable dans les rôles tristes et concentrés, n’a pas la chaleur, l’emportement l’émotion qu’il faudrait dans les circonstances critiques que traverse le patron Breschard. M. Gauthier, le contremaître révolutionnaire, a toujours beaucoup de justesse dans la diction, mais, cette fois, de la maigreur dans le jeu. Mlle Yvonne De Bray a donné au rôle de Louise Mairet une allure mélodramatique qui détonne dans une pièce réaliste. Complimens, pour finir, à M. Baron, excellent dans le rôle de Thubeuf et à Mme Ellen Andrée qui dessine avec pittoresque le personnage de la mère Gaucheron. Mais ce ne sont que des rôles épisodiques. Quant à la mise en scène, nous ne saurions trop louer M. Porel du goût et de la mesure avec lesquels il a réglé la figuration du deuxième et du troisième acte. Il a su éviter, — et c’est un mérite à la date où nous sommes, — d’introduire la pantomime dans un drame d’idées.


La pièce que M. Marcel Prévost a fait représenter au théâtre du Gymnase n’est autre que le roman publié ici même, sous le titre Pierre et Thérèse. Ne disons pas que la pièce ait été tirée du roman, puisque au contraire c’est le roman qui a été tiré de la pièce. Mais, le moment venu d’en rendre compte, le résultat est le même : j’entends qu’il y aurait pareillement impertinence à raconter aux lecteurs de la Revue une pièce qu’ils ont lue sous forme de roman, il y a quelques mois à peine et à leur parler longuement de péripéties qu’ils ne peuvent avoir oubliées. Ai-je besoin d’ajouter que ce cas particulier m’interdit aussi bien les éloges ou les réserves portant sur le fond des choses, et qui seraient également de mauvais goût ? Je me placerai seulement au point de vue de la technique de la scène et de l’effet théâtral. Or, je crois que M. Marcel Prévost l’aurait obtenu beaucoup plus grand, s’il ne s’était astreint à un genre et à une formule dont il a estimé sans doute qu’ils lui étaient imposés par le théâtre pour lequel il travaillait. Telle est la force du passé dans une maison qui a un passé brillant ! Il y a une tradition et même une convention du