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formation de la Terre. Il en est d’autres qui sont d’ordre géomorphique, c’est-à-dire qui, sans rien préjuger sur l’évolution du globe, se rapportent à sa figure même, dans son état actuel.

Par exemple, l’hypothèse d’un axe solide existant au pôle et servant de pivot à la terre, ou, comme on l’aurait dit autrefois de préférence, à la machine du monde, c’est-à-dire à la voûte céleste, ne mérite plus d’être citée qu’à un point de vue simplement historique. Il y a des siècles qu’on n’y croit plus. Il n’y a pas de « Grand Clou. » Déjà ni Rabelais, ni Cyrano de Bergerac, dans leurs demi-fantaisies, ne l’admettaient plus.

Cependant, sans rien supposer de précis, on ignorait encore, il y a moins de trois siècles, au temps de Louis XIV, s’il n’y avait pas quelque chose pour supporter la Terre dans l’espace.

Lorsque Regnard, l’illustre poète, qui termina sa carrière à une date dont la Comédie-Française célébrait ces jours-ci le deuxième centenaire, entreprit le fameux voyage en Laponie, dans lequel il atteignit l’extrémité septentrionale des terres de l’Ancien Continent, il parlait encore, d’une façon vague et problématique, du Grand Essieu, sur lequel tourne la Terre et dont il cherchait à se rapprocher.

Après que l’idée d’un pivot ou d’un support solide eut été abandonnée, plusieurs géographes, et non des moindres, persistèrent dans l’hypothèse d’un trou polaire. C’est-à-dire qu’ils supposèrent qu’au Pôle, soit au Pôle Sud, soit au Pôle Nord, soit en ces deux emplacemens, il existait un trou mettant en communication l’eau des mers avec l’intérieur de notre sphère terrestre, supposée creuse. Il n’y a pas lieu de plaisanter sur cette croyance et de la rejeter dédaigneusement sans examen. De fort grands esprits l’ont admise. Mercator lui-même, l’éminent géographe et astronome auquel on doit le système de projection qui porte son nom et sur lequel, depuis trois cent cinquante ans, les marins de tous les pays s’appuient pour fixer la route quotidienne de leurs navires, n’hésitait pas à admettre cette hypothèse du trou polaire.

Ainsi que beaucoup d’autres savans de son temps, il ne se rendait pas compte du fait que l’évaporation enlève à la mer, pour former les nuages, autant d’eau qu’elle en reçoit. Il lui semblait que, puisque tous les fleuves se jettent dans la mer, celle-ci devait avoir un trop-plein ou un régulateur de son niveau Il pensait que ce trop-plein devait s’engouffrer à