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que je voulais simplement lui donner une idée des documens conservés dans notre établissement. Accompagné du commis d’ordre, car, ce jour étant férié, tous les archivistes étaient absens, je menai le citoyen Gastineau dans la section judiciaire ; où je fis ouvrir devant lui un registre des Olim[1] et quelques autres vieux registres, et j’insistai sur la nécessité de connaître la paléographie, pour les consulter. Et puis, je le reconduisis jusqu’à l’entrée des Archives.

Le délégué de la Commune, qui avait écouté assez silencieusement ces explications, se déclara satisfait et se borna à quelques généralités qui laissaient assez percer son ignorance de tout ce qui nous concernait. Il me demanda, entre autres, si Michelet n’avait pas été à la tête de notre établissement et il ajouta : « Celui-là est un grand historien, qui était ici bien à sa place. » Cependant on entendait gronder le canon. « Il faut que je me hâte, dit alors le citoyen Gastineau, les obus commencent à tomber dru, il me faut encore aujourd’hui inspecter la bibliothèque du château de la Muette. » Sur ce, il nous quitta, emportant les notes qu’il avait prises, d’après mes renseignemens, et me disant qu’il adresserait son rapport au citoyen Vaillant, délégué à l’Instruction publique. Il disparut et nous n’en entendîmes plus parler.


Le mardi 23 mai, nous nous trouvâmes tout à fait bloqués dans notre quartier et enfermés au palais Soubise. Le canon et la fusillade, qu’on ne cessait d’entendre gronder dans Paris, ne laissaient pas de doute : le combat était engagé dans les rues, nous allions être délivrés ; mais à quel moment ? Impossible de le prévoir. Vers sept heures du soir, j’étais monté dans ma chambre à coucher, quand on vint m’avertir que deux envoyés du Comité de Salut public demandaient à me parler et étaient entrés au bureau de l’Agence. Je descendis en toute hâle et trouvai dans ledit bureau deux hommes encore jeunes, revêtus du costume des officiers d’état-major de l’armée fédérée, ayant l’écharpe rouge et le revolver à la ceinture, portant de grands sabres et affectant un air d’importance et d’autorité. Le plus âgé des deux me déclara être le citoyen Debock, directeur de l’Im-

  1. On appelle ainsi les registres du Parlement, qui renferment les arrêts rendus par la Cour du Roi depuis saint Louis.