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là. Désarmer cette canaille, voilà le redoutable problème ! L’énergie manque : on hésite à réprimer l’émeute par la force, sous prétexte que ce serait déchaîner la guerre civile. En serions-nous arrivés au point où en sont les Napolitains, qui transigent avec les brigands et font des pensions aux chefs de bande qui consentent à se soumettre ? Pour moi, je reste à mon poste, attendant d’un instant à l’autre la venue d’un délégué de la Commune, qui me mettra à la porte.


Paris, 8 avril 1871. — Je suis toujours à mon poste, où personne n’est venu encore m’inquiéter. Une véritable panique règne dans tout Paris. Hier, à 6 heures après-midi, j’ai traversé le quartier de la Banque et de la rue de Richelieu : toutes les boutiques étaient fermées, on ne rencontrait qu’un petit nombre de passans, çà et là quelques gardes nationaux, revenant du feu, armés ou sans armes, harassés et beaucoup ayant l’air découragé. En effet, les troupes de Versailles étaient arrivées tout près de la porte Maillot et de l’Arc de Triomphe, où il est tombé un obus. Un témoin oculaire m’a dit qu’on voyait le feu des pièces des Versaillais. La majorité des gardes nationaux, qui combattent, sont de pauvres faubouriens, qui servent pour leur solde et leurs vivres. Comme les uns ne se soucient pas de travailler et que les autres savent qu’ils trouveront difficilement un emploi, ils se sont faits soldats de la Commune, à laquelle ils obéissent aveuglément. Cette nuit, de 2 heures à 5 heures du matin, on a entendu la fusillade à l’Est, croit-on, dans la direction de Charonne. Les arrestations se multiplient et le dépôt de la préfecture de police se remplit, ce sont surtout des ecclésiastiques qu’on arrête. J’ai appris hier l’arrestation du curé de ma paroisse, vieillard septuagénaire[1]. On m’a donné sur la situation de ces détenus des détails navrans. Ce matin, on dit qu’on empêche de sortir de Paris, car une foule de jeunes gens s’enfuient pour échapper à la levée de tous les hommes de dix-neuf à trente-cinq ans, qui, par un décret de la Commune, vient d’être étendue jusqu’à quarante ans. Beaucoup de nos employés ont déjà disparu, petits et grands ; cependant, grâces à Dieu, on

  1. Il s’appelait Charles-Félix Garenne et échappa aux fusillades de la Commune ; il est mort en 1878, après quarante-sept ans de ministère, dans la paroisse Notre-Dame-des-Blancs-Manteaux.