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passion des idées, une confiance éperdue dans la valeur du sentiment, et la bravoure du prosélytisme.

Quelle riche nature ! Elle me rappelle le beau sorbier fleuri dont nous parle Selma Lagerlöf et qui ressemblait à un ciel étoile. Je sens monter en elle la sève du vieux terroir lyrique de la Suède, et j’admire son idéalisme. Ses essais sur la Moralité féminine, sur le Courage, sur la Beauté, sur la Tranquillité, sont d’un moraliste très fin, que son optimisme range tout à côté de Vauvenargues. Mais, dans ses livres sur l’Enfant et sur l’Amour, la psychologie la plus sûre est souvent obscurcie par les nuées d’une Lélia Scandinave. Elle a hérité du donquichottisme dont elle se plaît à relever les traces dans l’histoire suédoise, et elle est partie en guerre contre les préjugés de son pays, — lequel en sursaute encore. Jadis, elle a osé dire que lier la Norvège à la Suède, c’était enchaîner un jeune homme à un vieillard paralytique. Elle a flétri du nom superbe de « populace bien élevée » la catégorie des bourgeois corrects et sans générosité. Évidemment elle a trop donné dans le romantisme du droit au bonheur, et du droit à l’amour, qui sont les droits les plus bizarres du monde. Mais on lui sera reconnaissant d’avoir essayé d’élargir la morale puritaine et d’avoir exalté la dignité du sentiment sincère. Elle croit fortement, et, comme le héros de la Manche, elle ne croit jamais pour un peu. Son besoin d’admirer et ses admirations de Montaigne, de Spinoza, de Goethe, de Nietzsche, d’Ibsen ont fait de son cœur un Panthéon. Des Upsaliens racontent qu’à Weimar, la première fois qu’elle franchit le seuil de Goethe, son émotion fut si grande et ses larmes si vives que le gardien retira le cordon qui séparait la pièce en deux pour lui permettre de pleurer par toute la chambre.

Les Suédois répugnent aux effusions impétueuses. Tout haut, ils les déclarent ridicules. Mais qu’en pensent-ils tout bas ? « Nous autres hommes, s’écrie dans un poème de Heidenstam le vicaire Per Linden, nous autres hommes, avec le même empressement que le voleur enfouit son sac dans sa caverne, nous dissimulons de grandes choses au fond de nos cœurs, de si grandes choses que nous n’osons jamais les dévoiler, tant nous avons conscience de notre petitesse. Nous aimons mieux jouer un personnage banal et plat, et que personne dans la rue ne puisse rire et dire : Voilà un homme qui n’a pas assez de pudeur pour cacher le meilleur