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tout entière absorbée dans la contemplation de ce point fixe se défie forcément de l’enthousiasme et des passions vigoureuses. Elle sacrifie même quelquefois ses intérêts matériels au triomphe de la notion abstraite. Un professeur de l’Université prend-il sa retraite ou vient-il à disparaître ? On nomme des experts étrangers qui examinent les titres des divers candidats et qui, chacun de son côté, rédigent leur rapport. On s’entoure ainsi de toutes les précautions contre le favoritisme, les influences du milieu, la vogue du moment, les préjugés nationaux. Avec un pareil système, la Suède ne court aucun risque de commettre une de ces révoltantes iniquités dont un Brunetière fut victime, pour la honte de notre Enseignement Public. A Lund, l’anarchiste Viksel, celui-là même qui invitait un jour Bobrikoff et ses Cosaques à s’emparer de la Suède, afin de s’y humaniser et d’y prendre leurs grades de socialistes, uniquement jugé sur son mérite, est choisi parmi ses concurrens sans que sa nomination provoque la moindre hostilité. Mais voici le revers : la chaire demeure vacante pendant un ou deux ans. Le suppléant, à qui sa suppléance ne confère point d’avantage sur ses rivaux, se sent dans une position trop précaire pour s’adonner entièrement à la préparation de ses cours. Que de chaires boiteuses ! Que de temps dilapidé ! Qu’importe ? La justice est sauve ; et les Suédois peuvent dire : « Nous n’avons pas inscrit dans notre Charte la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, mais nous sommes le pays le plus libre du monde. »

Reste à savoir si la liberté religieuse est aussi grande que la liberté politique chez un peuple où le mariage civil n’est pas encore régulièrement admis, et où l’accès à de hautes situations, comme celles de juge et de conseiller d’Etat, voire à des situations modestes, comme celle d’instituteur, est également interdit aux catholiques et aux juifs. Il ne m’appartient pas de les en blâmer, puisque, leur institution nationale étant toute pénétrée de protestantisme, leur premier devoir consiste à ne pas souffrir qu’un esprit étranger en défigure le sens. Mais je remarque que leur sentiment de la liberté s’accommode de toutes les restrictions qui leur sont commandées par l’ordre social. Bien plus : il se plie volontiers à des règlemens dont s’irriterait notre humeur frondeuse et s’incline, sans récriminer, devant une hiérarchie excessivement bureaucratique.

Le docteur Klein accable de ses sarcasmes la servilité de ses