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le sentiment très net que l’étude n’est qu’une forme extérieure de notre activité et que notre tranquillité foncière n’en doit point être affectée ! Leurs professeurs ne leur inspiraient ni admiration, ni désir de combattre leurs idées. Un jugement sec, un petit ridicule saisi, c’était tout ce qui émergeait de leur indifférence.

Ils ne s’animaient un peu qu’aux récits de la bohème d’Upsal, car, s’il faut en croire la légende, les étudians menaient jadis une vie de bohème que je n’ai pas le courage de regretter, tant elle me semble encore plus médiocre que celle des héros de Murger. Cependant, on rapporte qu’à cette époque lointaine, ils s’interrompaient de boire pour discuter la philosophie de Böstrom : et un Norvégien, qui vécut à Upsal vers 1860, fut si conquis par la chaleur et la fraternité des Nations upsaliennes qu’il faillit, nous dit-il, se faire naturaliser Suédois. Que la Norvège lui pardonne, si elle le peut ! Je le soupçonne d’avoir beaucoup aimé les toddy. On désignait ainsi des grogs chauds qui ont heureusement disparu, « comme les tribus d’Indiens dans l’Amérique du Nord. » L’eau-de-vie en était épaisse et sombre ; et, lorsque le Roi mourait, le toddy devenait presque noir. J’ignore comment s’appelaient les quatre premiers ; mais le cinquième se nommait Quint us Fabius, le sixième Sextus Tarquinius, le septième Septimus Severus, le huitième Octavius Maximus, et le neuvième Pio nono. Les éclopés de ces cuistreries bachiques disaient le lendemain : « Ce sont les cinq derniers grogs qui nous ont tués. » On rencontrait alors dans les rues des professeurs qui regagnaient leur logis une bouteille de punch sous le bras, une autre dans la poche, un sourire béat tourné vers le ciel. Les Upsaliens s’entraînaient à l’excentricité avec la même ardeur qu’ils s’appliquent aujourd’hui à observer la correction.

Strindberg, dans un recueil de nouvelles et de croquis encore plus âpres qu’amusans, fait défiler sous nos yeux les originaux de cet Upsal déjà suranné : le solitaire qui a écrit sur sa porte : « Visible jusqu’à sept heures du matin ; » le dormeur qui ne peut pas dormir sans avoir sous sa tête le gros livre de Charles XII par Nordberg, et qui prolonge sa sieste tout l’après-midi devant vingt-cinq bouteilles vides alignées au pied de son mur ; le snob qui refuse de s’enivrer et que ses camarades méprisent ; les théologiens pansus amateurs de Porto ; l’orphelin qui a hérité de quatre mille couronnes et qui dépense son héritage à