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les murs enfumés sentaient leurs basochiens, s’est transformée en un monument qui tient à la fois de la préfecture et des « Salons pour Noces. » C’est grand, c’est vide, c’est froid, c’est affreusement solennel et administratif. Sous les plafonds de la Nation du Norrland, j’ai vu des ameublemens crème et or que la hauteur des lambris rapetissaient aux proportions d’un ameublement de poupée, et dont la banalité vous faisait songer à un salon de préfecture, quand la préfète en a déménagé. Et tout cela, qui fut payé fort cher dans un pays assez pauvre, ne sert qu’à occuper les malheureux étudians chargés par leurs camarades de gérer l’immeuble. Il n’est jamais bon d’habiller de neuf les vieilles institutions. Elles ne supportent pas nos modes nouvelles. Les étudians le comprennent si bien que, l’année où j’étais à Upsal, quelques-uns d’entre eux essayèrent de fonder une société coopérative, l’Ambrosia, avec chambres, salle à manger commune, salle de lecture : petite tentative dont je ne sais si elle a réussi, mais qui sera sûrement reprise et qui prouve l’insuffisance et la caducité des anciennes Nations.

Beaucoup d’argent dépensé en vaines architectures, ce n’est rien encore à côté du temps que l’Université d’Upsal coûte à la jeunesse. Les deux maladies permanentes qui affaiblissent la Suède sont, dans le peuple, l’émigration par où s’échappe le sang le plus vigoureux du pays, et, dans la classe bourgeoise, la durée des études où s’anémie chez les plus vivaces la vertu d’initiative. Six ou sept ans suffisent partout ailleurs pour faire an médecin ; en Suède, il en faut dix. A quelque profession qu’il se destine, le bachelier ne peut guère demeurer moins de huit ans à Upsal. Les programmes sont-ils donc plus chargés que les nôtres ? J’ai de bonnes raisons d’en douter ; et ce n’est pas là qu’on trouvera les causes de cette longueur démoralisante. L’étudiant upsalien ne sait pas travailler. Il tient trop à ses aises. Ce grand garçon sanguin, à demi campagnard, est trop soucieux de son bien-être et de sa santé. Il ressent aussi l’hébétude de la nuit d’hiver et la langueur des nuits d’été. Sans émulation, dans l’impossibilité d’abréger son temps d’études, le but qu’il poursuit est si loin, si loin, qu’il l’a bientôt perdu des yeux. Chaque année, chaque mois, chaque jour qui passe augmente sa dette, car les trois quarts des étudians vivent sur l’emprunt. Lorsque, aux environs de la vingt-huitième année, il quittera son cher Upsal, la société, qui n’a eu jusqu’ici pour lui que des complaisances