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l’Europe contemporaine. Mais elle leur a répété sans cesse qu’ils valaient mieux que les autres, qu’ils étaient plus savans, plus consciencieux, plus honnêtes. Contrairement à l’avis du docteur Klein, je pense qu’elle fut sage de laisser son Université dans les prairies d’Upsal, comme une tradition vivante où les jeunes gens, un peu hors du siècle, continuent la légende nationale.

On objecte qu’ils n’y apprennent point la vie. Argument de brasseur d’affaires, de politicien ou de mauvais romantique que je ne comprends pas plus en Suède qu’en France lorsqu’on le tourne contre notre Enseignement Secondaire ou Supérieur. Qu’entend-on par « apprendre la vie ? » Ne faut-il pas d’abord se mettre en état de la supporter ? La vie consiste-t-elle uniquement dans l’agiotage, l’intrigue et le jeu des passions ? Les bibliothèques, les archives, les laboratoires, la retraite studieuse, n’est-ce pas de la vie au même titre que le commerce, les marchés, les usines, la rédaction des journaux, la chasse et la pêche ? Chaque fois qu’on cite une bonne petite lâcheté, une inconséquence du cœur ou un trait de perfide égoïsme, il se trouve un sot qui s’écrie : « Est-ce assez humain ! » Si c’est à cela qu’on reconnaît l’humanité, je ne nous félicite pas. De même, je crains que les terribles gens qui exigent qu’on enseigne « la vie » à la jeunesse, n’entendent par la vie que ce qui en fait la vulgarité triste. J’aime Upsal, parce que c’est un coin de terre où les hommes honorent le travail désintéressé, où les phraseurs de la politique sont moins estimés que les professeurs d’assyrien, où l’intelligence ne se négocie pas, et où l’intellectuel, justement apprécié dans sa compétence, n’est point démangé de l’envie d’en sortir. Et je ne dis pas qu’il conviendrait que toute notre machine ronde ressemblât à ce petit canton ; mais que les jeunes gens, qui ont la bonne fortune d’y vivre et d’y collaborer à la vie supérieure de leur patrie, en témoignent un certain orgueil, je le conçois. On leur pardonnera donc leur optimisme avantageux, même un peu de suffisance, et l’intime persuasion où se complaisent les plus paresseux d’entre eux, que le séjour d’Upsal leur tient lieu d’effort et de labeur. Chez nous, quand les étudians ne font rien, ils ont conscience de ne rien faire. A Upsal, ils sont toujours convaincus qu’ils travaillent. Leur seule présence, il est vrai, contribue à prolonger l’existence de cette ville et à en assurer toutes les traditions.