Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

songe pas plus aux fêtes solennelles ni aux bals et aux chœurs des étudians, ni aux sérénades qu’ils organisent moins par conviction que par respect de la coutume, et dont la vague espagnole vient si étrangement battre sous le ciel du Nord des murs sans balcon. Ce qui donne à Upsal son âme de jeunesse, c’est l’optimisme qu’on y devine et qu’on y respire partout. La croyance dans la bonté foncière de la vie rayonne ou perce sur tous les visages. La certitude que la vie, excellente en soi, n’a rien produit de meilleur qu’Upsal s’épanouit chez les uns en béatitude, chez les autres se concentre en gravité.

Cet optimisme est le fond même du caractère suédois. Ni le Christianisme ni la Réforme n’ont dénaturé le cordial amour de la vie qu’épanchait largement le paganisme Scandinave. Les théologiens l’ont bu aux cruches de bière que les vieux Jarls se passaient en chantant. Les poètes ne l’ont altéré d’aucune amertume, pas plus les psalmistes que ceux dont le génie tourmenté a fini par sombrer dans la démence. Leurs tristesses n’ont point d’accent désespéré. Leurs ardentes nostalgies ne sont que des aspirations d’âmes inquiètes qui croient au bonheur. L’observation des romanciers les plus réalistes est empreinte de sympathie pour l’espèce humaine et surtout pour l’espèce humaine suédoise. Les fureurs d’un Strindberg sont d’origine pathologique ou d’importation étrangère. Je ne vois dans ce grand écrivain qu’un optimiste désabusé qui s’est bizarrement assimilé les grossières théories de Zola et les paradoxes de Nietzsche. Les philosophes, — on en compte bien deux en tout, Böstrom et Vikner, l’un disciple de Kant, l’autre un Christ qui ressemblerait à Victor Cousin, — me semblent des théologiens égarés dans la métaphysique : ils n’ont pas plus sondé la misère de l’homme que les oiseaux qui décrivent leurs cercles au-dessus d’un puits n’en mesurent la profondeur. Les deux siècles de littérature suédoise ne nous offrent pas un seul moraliste comparable à ceux de qui les jeunes Français apprennent à se défier de la vie, des hommes et d’eux-mêmes. Les doctrines de désenchantement n’ont jamais élu domicile à Upsal, ni la logique passionnée des grands contempteurs de nos vanités, ni les paradoxes à la Swift, ni les désespoirs systématiques, qui, du fond d’une taverne allemande, étreignent l’univers et l’ébranchent de nos illusions. Quel citoyen d’Upsal se sentirait assez déshérité pour s’aviser de refaire le monde ? Les professeurs sont les rois