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VOYAGE EN SUÈDE

I
UPSAL

D’Upsal rayonnent tous les chemins de la pensée suédoise. Les hommes qui ont fait la Suède moderne sont tous partis d’Upsal. Cette petite ville de vingt-deux mille âmes, ancienne capitale de la Scandinavie légendaire, citadelle du protestantisme, métropole de l’esprit national, est aussi l’atelier où se réparent les défaites. Il ne faut jamais oublier, quand on étudie la Suède, que, depuis Charles XII, ses entreprises guerrières ont tourné en désastres. Ses conquêtes perdues, elle a perdu la Finlande et l’espoir d’un empire sur la Baltique. Puissance politiquement déchue, tombée au rang des petits Etats, elle ne serait rien qu’un éparpillement de cinq millions d’habitans à travers un immense territoire, si, après avoir dépensé son énergie sur les champs de bataille européens, elle n’avait reporté et concentré ce qui lui en restait dans la plaine pacifique d’Upsal.

Curieuse destinée ! Pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle, par ses rois, ses longues guerres, ses aventuriers, elle s’impose à l’Europe. Le Suédois, vainqueur de Prague, met la main sur les statues des Douze Apôtres, grandeur naturelle et argent massif, et les convertit en monnaie, « afin qu’ils courent le monde selon l’ordre de Jésus-Christ, leur maître ; » et il court le monde avec eux. Il est partout : à Rome, à Versailles, en Pologne, chez le Turc, où, selon le mot de Heidenstam, il mange le pain du