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rieure adonner à des provinces que nous avons cédées par traité ; nous nous exposerions, en passant outre, à nous entendre dire des choses pénibles ; décidément, certaines douleurs ont besoin du silence. Mais il y a une inspiration trop humaine dans son discours pour que M. de Bethmann-Hollweg ne comprenne pas et n’admette pas de notre part la persistance de souvenirs qui se rattachent à la plus grande et à la plus belle partie de notre histoire. S’il ne demande pas l’oubli aux Alsaciens-Lorrains, il ne nous le demande pas davantage. Nous ne cesserons jamais de porter à l’Alsace-Lorraine un intérêt particulier, et tout ce qui lui arrivera d’heureux ou de malheureux aura dans nos cœurs discrets un retentissement profond.


A l’intérieur, la campagne des proportionnantes et des anti-proportionnalistes se poursuit avec une activité de plus en plus grande. Malgré tous leurs efforts, les radicaux n’ont pas réussi à supprimer une question qu’ils trouvent gênante, et on peut dès maintenant les mettre au défi, dans une discussion et dans un vote publics, de la résoudre conformément à leurs appétits. On sait d’ailleurs qu’ils n’ont pas osé le faire à la Chambre, et qu’ils ont voté le principe du scrutin de liste et de la représentation proportionnelle, sauf à se rattraper ensuite par un tour de passe-passe et à renvoyer la réforme aux calendes grecques. En théorie, proportionnantes ; en fait, arrondissementiers. S’ils ont cru par-là qu’ils satisferaient tout le monde, leur erreur a été grande. La contradiction dans laquelle ils ont cherché un refuge a paru grossière ; elle a été dénoncée au pays, et leur situation en est devenue plus difficile.

Ils ont alors usé d’autres procédés qui, autrefois, étaient d’un succès infaillible. Ils ont dénoncé la coalition avec la Droite ; ils ont invoqué le salut de la République ; ils ont parlé de néo-boulangisme ; ils ont même, pour faire diversion, crié : Sus aux évêques ! et : Vive l’école laïque ! Mais, à leur grand étonnement, on leur a ri au nez, et lorsqu’on rit au nez des épouvantails et des revenans, il n’y a plus rien à en faire, le charme est rompu, il faut trouver autre chose. Mais quoi ? On a cherché, on n’a rien imaginé. En désespoir de cause, on a fait un banquet dont on a donné la présidence à M. Combes, dans l’espoir qu’il en rendrait la chaleur communicative. Hélas ! le banquet a été froid et, à l’exception de deux ou trois hommes d’esprit égarés, on n’y a vu que des comparses. Eh quoi ! M. Combes lui-même aurait-il cessé de faire recette ? N’accourrait-on plus pour l’applaudir ? Il semble qu’on ait prévu l’indigence de son discours. A la vérité, on devait entendre