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goisse ; nous tâcherons du moins de ne pas faire naître le premier de ces sentimens. Il s’agit de l’Alsace-Lorraine. On en aparté au Reichstag, et l’incident a trop d’importance pour que nous ayons l’air de l’ignorer. Les Alsaciens-Lorrains demandent leur autonomie. Il y a encore quelques jours, ils ne désespéraient pas de l’obtenir à brève échéance : après le discours de M. de Bethmann-Hollweg, cette échéance a paru s’éloigner beaucoup et même être reportée à une date indéterminée. Hâtons-nous de dire que le discours du chancelier a été parfaitement convenable comme fond et comme forme ; il ne contient pas un mot dont qui que ce soit puisse être blessé ; il n’oppose pas un veto aux désirs de l’Alsace-Lorraine, mais il en ajourne la réalisation, et cela pour des motifs un peu faibles. Il s’est produit tout récemment, en Alsace, des manifestations où les souvenirs d’autrefois revenant, s’il est permis de parler ainsi, à la surface des cœurs, ont fait naître une certaine émotion. M. de Bethmann-Hollweg exagère-t-il l’importance de ces manifestations ? Nullement, et c’est une justice que nous aimons à lui rendre : il la réduit à celle d’incidens passagers. Du reste, il juge naturel que les Alsaciens-Lorrains tiennent à conserver leur personnalité ; il reconnaît volontiers que leur situation actuelle ne saurait être que provisoire ; il déclare aspirer lui-même au moment, où cette situation, par analogie avec celle des autres parties de l’Empire, prendra une forme nouvelle, où les idées, les mœurs, les aspirations légitimes des Alsaciens-Lorrains trouveront une garantie. Ce sont là des vues très élevées sans aucun doute ; elles sont aussi très politiques, et c’est même un point sur lequel nous n’avons pas à nous expliquer davantage ; mais, nous le demandons, s’il y a d’un côté une grande conception gouvernementale destinée à se réaliser un jour dans un organisme permanent, et de l’autre de simples incidens qui tiennent à l’excitation d’une journée exceptionnelle, peut-on mettre en balance ceci avec cela et établir entre deux termes aussi inégaux une corrélation de quelque durée ? Nous posons la question ; il ne nous appartient pas de la résoudre. Nous sommes de ceux qui croient que Gambetta a eu raison de dire qu’il fallait penser toujours à l’Alsace Lorraine et n’en parler jamais. Un nous dit, à la vérité, qu’il y a des gens, et même beaucoup, qui ne pensent qu’en parlant. Cela est regrettable pour eux, mais il serait regrettable pour l’Alsace-Lorraine qu’à force de parler d’elle, nos discours, auxquels on finirait par ne plus attacher d’importance, touillassent dans la banalité. Au surplus, une convenance et comme une pudeur secrète nous arrête au moment où nous serions tentés d’exprimer un avis sur l’organisation inté-