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nous-même lu, — à de très rares exceptions près, — ses dernières Figures avec la joie discrète que les premiers volumes de ses Mémoires avaient si souvent provoquée. Une sérénité malicieuse : voilà l’impression dominante que laissent ces petits volumes. Une finesse que rien ne déconcerte s’y joue avec aisance. Elle se peut exercer en tant de circonstances et à propos de tant d’hommes que, vraiment, un siècle d’histoire apparaît ici dans un sourire : songeons que ce chroniqueur peut promener son œil pétillant des derniers ministres de la Restau ration aux « séances de tabac » où le convie l’empereur Guillaume II en 1890. Il a été élevé au milieu des Chouans qui ont fait la guerre des landes et des soldats qui ont été de la Grande Armée : il a connu, dans cette province archaïque, bien des traits de l’ancien régime attardé, a reçu les leçons de tel maître qui, déjà, enseignait sous Louis XVI ; normalien, il a, un jour, rencontré chez Philippe Le Bas la veuve du Conventionnel et la sœur de Robespierre : plus tard il a visité le Musée de Versailles, tandis que Louis-Philippe s’appuyait sur son bras, et suppléé à la Sorbonne Victor Cousin, hier ministre du roi bourgeois, — je connais peu de portraits aussi fins que celui du roi Louis-Philippe par Jules Simon. — Représentant du peuple en 1848, il n’a évidemment jamais inféodé son esprit au point de ne plus savoir regarder et juger sainement — et ironiquement : il a reçu, nous le verrons, les politesses du prince Louis et a participé aux délibérations des démocrates. Mêlé par sa disgrâce au monde opposant sous le second Empire, il a, après avoir représenté sa Bretagne à l’Assemblée, couru les réunions publiques de Belleville, de Courbevoie, de Saint-Denis, et finalement représenté au Corps législatif le faubourg parisien. Morny et Rouher ont tenté de le conquérir : Jules Favre l’a séduit et Thiers agacé, — très manifestement. Membre du gouvernement en 1870, il a affronté le 31 octobre dont il nous fait le récit avec cette sérénité qui, partout, dore de tant de belle humeur des incidens fort sombres. Il a été ministre de Thiers et a pu, le connaissant mieux que devant, le mieux juger. Et il a connu encore le brave maréchal, tournant, comme un homme qu’on voudrait enchaîner, dans le cercle où l’opinion l’enfermait : président du Conseil renvoyé au 16 mai, il n’y a vu qu’une raison de recommander à ses amis la justice dans la victoire ; il a été des premières luttes où se coupa en deux le parti républicain victorieux. Après avoir vu, — non sans une sympathie amusée, — le jeune Gambetta tirer, dans la salle des Pas-Perdus du Corps législatif, des feux d’artifice éblouissans, il l’a rencontré dans les Chambres de la République et l’a affronté. Des landes bretonnes aux faubourgs de