Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/223

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fit don, raconte la chronique, d’un recueil des morceaux composés pour la flûte par son aïeul, le roi Frédéric II. Y avait-il là épigramme ou hommage ? En tout cas, le trait paraît piquant.

Flûtiste mélodieux, Jules Simon nous séduit d’autant que les politiciens continuent à faire résonner le tintamarre de leurs cuivres. En fils pieux, MM. Charles et Gustave Simon tirent des papiers de leur père de nouvelles pages où nous le retrouvons tout entier. Les Figures et Croquis complètent cette série de volumes : Premières Années, Le soir de ma journée, Mémoires des autres, où Jules Simon a raconté sa vie. On ne saurait les en séparer.

Il ne lui convenait pas d’écrire ses Mémoires à grand orchestre ; c’est en parlant des autres qu’il s’évêque lui-même : il était altruiste. Il se remémorait ses amis avec une joie émue, et ses ennemis avec une indulgence délicieuse. « J’écris ces notes, dit-il dans les Nouveaux Mémoires, pour me rappeler, et non pour me glorifier. Ce n’est ni un plaidoyer, ni une confession, ni une histoire. Je revois ma vie comme un rêve et j’y prends une sorte de plaisir mélancolique. » Oui, toute sa vie, depuis l’époque où le petit Breton courait les ruelles de Saint-Jean-Brevelay, le chapeau rond sur les longs cheveux, jusqu’à l’heure où, ancien président du Conseil et membre de deux Académies, il allait représenter à Berlin son pays, — hier ingrat.

J’ai tout lieu de penser que M. Jules Simon ne fut pas aussi modeste qu’il le voudrait faire entendre ; car, aie lire, on le croirait « homme de rien. » Le suppléant de Cousin à la Sorbonne, l’ancien Constituant de 1848, l’ancien député opposant du Corps législatif, l’ancien membre de la Défense nationale, l’ancien ministre de Thiers et de Mac Mahon, l’homme que, le même jour, le Sénat fit inamovible et l’Académie immortel, se croyait-il sincèrement « homme de rien ? » Ici son altruisme lui-même, en s’exagérant, faillit : comment alors jugerons-nous les autres ? Non, il ne s’estimait pas « homme de rien ; » mais, fort malicieux, — j’y reviendrai, — il mettait une bonhomie narquoise à se proclamer tel en face de tant de sots qui se croient et s’affirment grands hommes. Et puis, il était philosophe : ne l’eût-il point été professionnellement, qu’il lui suffisait d’avoir vu de près tomber les Empires et les Républiques, les illustres tribuns et les grands ministres, pour toucher du doigt la fragilité des réputations, des popularités, des immortalités « avérées. » Il en avait conclu qu’on ne vivait guère dans le souvenir des hommes. « On vous jette la dernière pelletée de terre, écrit-il dans le volume qui vient de paraître, et en voilà pour toujours ! » Il s’appliquait cette mélancolique théorie. « On oublie vite