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ouvrent immédiatement une souscription à l’effet de faire représenter la pièce à Bruxelles par Talma et Mlle Duchesnois.

D’autre part, on les met en garde contre les espions. Un général hollandais passé au service de la France étant parti de Paris, chargé par le ministre de la Police de venir, sous prétexte d’affaires de famille, observer ce qui se passe à Bruxelles et à Liège, est aussitôt dénoncé aux réfugiés. « Plusieurs affaires l’attendent, mande l’observateur ; il sera provoqué et insulté. On croit du reste que sa mission est connue du gouvernement des Pays-Bas et qu’il recevra l’ordre de sortir du royaume. » L’espionnage est ce que les réfugiés redoutent le plus. Ils se savent l’objet d’une surveillance incessante. Aussi sont-ils disposés à la défiance. Tout étranger inconnu d’eux, dont le séjour à Bruxelles se prolonge, est soupçonné d’appartenir à la police française et de même les individus dont le train d’existence paraît au-dessus de leurs ressources. L’observateur en désigne plusieurs qui sont, pour ces causes, plus ou moins suspects aux réfugiés. C’est entre autres un soi-disant colonel anglais qui porte sur sa montre un portrait de Napoléon et qu’il croit être un agent secret du premier ministre britannique, lord Castlereagh ; un sieur Olivier, dont la poitrine est étoilée de la croix du Lys, de la croix de Saint-Louis et de celle de la Légion d’honneur, « quinquagénaire aux yeux durs, » qui pérore dans les estaminets et parade sur les promenades ; enfin une femme, qui, sous le Directoire et le Consulat, a beaucoup fait parler d’elle, qui passe pour avoir appartenu à la police sous l’Empire, qui fut la maîtresse du comte de Montrond et de ce général Fournier qu’on arrêta chez elle où il fut trouvé caché entre deux matelas : la fameuse Mme Hamelin.

Dès le second retour des Bourbons, alors qu’elle était à Paris, sa conduite politique, sa pétulance, ses propos séditieux, ses relations avec les personnages les plus notoirement hostiles au nouveau gouvernement, l’avaient désignée à la police, ainsi qu’en fait foi le rapport suivant, en date du 1er août 1815 :

« Mme Hamelin, rue Blanche, est surveillée secrètement depuis plusieurs jours. Elle est circonspecte, elle a peur, et il n’y a presque plus de réunions chez elle. Cependant, M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angély y est venu jusqu’au dernier moment de son départ. Samedi matin, entre autres, il lui a dit qu’il partait pour le Val, avec le pauvre Arnault, mais qu’il laissait ici de bons amis et que ses intérêts étaient entre bonnes mains.