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comme il rentrait chez lui ; l’homme n’a pas pu être arrêté. Heureusement la balle a été se loger dans le mur opposé. C’est une chose affreuse de penser qu’il existe des gens aussi atroces. Hélas !… hélas ! ! ! Dieu sait ce que nous deviendrons ! Cependant j’aime à penser que le crime ne triomphera pas éternellement. Puisque le baron vous tient au fait de tout ce qui se passe, j’éviterai de vous en parler, mais il y a bien des gens mécontens, et cela avec raison. Adieu, très chérissime, je vous embrasse de tout mon cœur. »

Cependant, l’état du prince de Condé brusquement s’est aggravé. Le mal se manifeste par une tache noire à la jambe dont les remèdes ont d’abord promptement raison, mais qui bientôt reparaît et s’étend sur plusieurs parties du corps. Par les lettres que les serviteurs du prince adressent au Duc de Bourbon pour le presser de revenir, la police sait bientôt que le malade est entre la vie et la mort. Tout Paris le sait d’ailleurs et en même temps que la famille royale fait prendre des nouvelles, les personnages les plus considérables viennent en chercher au Palais-Bourbon, d’anciens émigrés, des vieux chevaliers de Saint-Louis, voire des généraux de l’armée de la Loire, connus pour leur anti-royalisme. Tout le monde s’étonne de l’absence du Duc de Bourbon et de celle de la princesse Louise. Elle, du moins, a une excuse : les règles de son ordre lui défendent de sortir de son couvent. Mais, lui ! Le 11 mai, la comtesse de Rully lui écrit :

« J’espère que cette lettre ne vous parviendra pas, très chérissime, et que vous serez ici avant, car, hélas ! nous vous désirons avec une impatience qui ne peut se décrire. Que nous sommes tristes et malheureux ! Vous n’en doutez pas ; il n’y a point à se flatter ; ma douleur est extrême de vous le dire ; je sens que je déchire votre cœur, mais telle est la fatale vérité. Puissiez-vous être ici, avant,… car il vous a demandé… « Où sont donc mes enfans ? » a-t-il dit. Pauvre Prince ! Je ne puis m’accoutumer à l’idée de le perdre. Ah ! je suis, je vous assure, bien malheureuse. Adieu, car je n’ai pas la force de vous en dire davantage, et je n’y vois plus. Puisse cette lettre ne plus vous trouver à Londres ! »

Le prince meurt le 13 mai, à huit heures du matin, dans les bras de la comtesse de Rully qu’assistent son mari et les serviteurs intimes. L’un d’eux écrit en parlant d’elle : « Ce n’est pas une femme ; c’est un ange. Si vous l’eussiez vue pendant les