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petite histoire, ils feraient penser et dire aux principaux personnages des choses plus naturelles que n’en pensent et disent ceux de la Princesse de Clèves, » Mme de Sévigné redouble d’acquiescement : » Je suis encore d’accord de ce que vous dites de la Princesse de Clèves : votre critique et la mienne étaient jetées dans le même moule. » — On sait du reste que Mme de Sévigné fut un peu dans cette affaire de la Princesse de Clèves une « Nicodémite, » pour parler comme Calvin ; qu’elle garda à part soi le culte de la Princesse de Clèves et qu’elle la faisait lire à des ecclésiastiques « qui en étaient ravis. » — Mais en voilà assez sur Bussy-Rabutin considéré comme critique littéraire.

Comme « créateur, » Bussy a peu créé et n’a formé que d’assez pitoyables créatures. Il est de ceux à qui une mauvaise action a profité infiniment. Tout le monde a lu son portrait de Mme de Sévigné, tout le monde l’a trouvé excellent comme œuvre littéraire, personne n’a lu autre chose de lui, et tout le monde croit que le reste de ses ouvrages vaut celui-ci. La vérité, c’est que le reste de ses ouvrages est à peu près illisible. L’Histoire d’Angélie et de Ginolie ; l’Histoire de Bélise et de Bussy ont pu plaire comme médisances sur les autres et sur soi-même, mais n’ont, si ce n’est une certaine facilité de plume, aucun mérite littéraire et pour nous aucun intérêt. Ses Mémoires sont un fatras effroyable, où l’on peut pêcher, et c’est ce qu’a fait M. Gérard-Gailly, jusqu’à trois ou quatre réflexions intéressantes. Quant à ses Maximes d’amour dont M. Gérard-Gailly fait beaucoup d’état, j’en donnerai simplement quelques spécimens pris au hasard. Bussy se demande si l’on aime mieux à la Cour, à la ville ou à la campagne.


D’ordinaire à la Cour les cœurs sont tourmentés
De l’amour et de la fortune :
A la ville souvent on voit trop de beautés
Pour être fort constant pour une.
Mais rien ne fait diversion,
Aux champs, à notre passion.


Il se demande si un grand amour peut compatir avec une grande gaîté :


<poem> Tirsis, quand tu viens voir Caliste, Tu lui parais toujours content ; Cependant il est très constant Que qui dit amoureux dit triste.