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vivement Benserade et La Fontaine. Benserade, très inconnu de nos jours et méprisé sans connaissance de cause, est le plus spirituel des hommes et de temps en temps est un poète charmant. La réhabilitation de Benserade au XVIIe siècle et de Dorat au XVIIIe s’impose. Pour ce qui est de La Fontaine, il est peut-être inutile que je le présente.

Donc Bussy, après avoir reconnu que les torts de l’Académie envers Furetière excusent en partie celui-ci de ses emportemens, lui représente cependant que « Benserade est un homme de naissance dont les chansonnettes, les madrigaux et les airs de ballet d’un ton fin et délicat et seulement entendu par les honnêtes gens, ont diverti le plus honnête homme et le plus grand roi du monde ; » qu’il ne faut pas dire « que M. de Benserade s’est acquis quelque réputation pendant le règne du mauvais goût, proposition qui, outre qu’elle est fausse, serait encore criminelle ; » qu’enfin M. de Benserade « est un génie singulier qui a plus employé d’esprit dans les badineries qu’il a faites qu’il n’y en a dans les poèmes les plus achevés. »

« Pour M. de La Fontaine… » Pour M. de La Fontaine, comme on le voit dans d’autres passages, Bussy, évidemment, estime surtout ses Contes, à la différence de Mme de Sévigné, qui tout en goûtant fort, et avec raison, les Oies du frère Philippe, fait état surtout des Fables et ne tarit pas à les citer et à les louer. « Pour M. de la Fontaine, c’est le plus agréable faiseur de contes qu’il y ait jamais eu en France. Il est vrai qu’il en a fait quelques-uns où il y a des endroits un peu trop gaillards et, quelque admirable enveloppeur qu’il soit, j’avoue que ces endroits-là sont trop marqués ; mais quand il voudra les rendre moins intelligibles, tout y sera achevé. La plupart de ses prologues [les prologues des Contes] qui sont des ouvrages de son cru, sont des chefs-d’œuvre de l’art et pour cela, aussi bien que pour ses Fables, les siècles suivans le regarderont comme un original, qui à la naïveté de Marot joint mille fois plus de politesse. »

Mme de Sévigné fut ravie de cette intervention de son cousin en faveur des deux auteurs, et Tous vos plaisirs, lui écrivait-elle tous vos amusemens, vos tromperies, vos lettres et vos vers m’ont donné une véritable joie et surtout ce que vous écrivez pour défendre Benserade et La Fontaine contre ce vilain factum. Je l’avais déjà fait en basse note à tous ceux qui voulaient louer