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et du reste, ne laissant pas d’être magnifique dans la décoration de ses châteaux, toujours gonflé de prétentions littéraires, ravi le jour où on lui rapporte que le Roi a dit à Dangeau : « Vous qui avez de l’esprit, vous devriez être de l’Académie, » que Dangeau a répondu : « Faut-il tant d’esprit pour cela ? » et que le Roi a répliqué : « Quoi donc ? Messieurs tel et tel… et de Bussy n’ont-ils point d’esprit ? » ; toujours mécontent de tous et même de lui s’il pouvait l’être, affligé par les sottises de sa fille, veuve de Coligny, qui s’éprend d’un aventurier, La Rivière, et qui l’épouse secrètement, ce qui ajoute procès à procès ; rentrant en grâce à demi ou au quart, obtenant de venir à Paris, courtement, pour le règlement de ses affaires, voyant le Roi lui sourire un peu, puis se rembrunir et le consigner à nouveau en Bourgogne ; obtenant enfin, parce qu’il a plu à Mme de Maintenon, de dîner à la table du Roi et d’échanger avec lui quelques paroles obligeantes ; mais cela à l’âge de soixante-treize ans. Il devait mourir deux ans après.

Il avait d’excellens, de très chauds amis. Sans parler de ses maîtresses, desquelles Mme de Montglas fut la plus aimée, la plus longtemps aimée et la plus romanesquement aimée, il faut citer Mme de Gouville, Mme de Fiesque, la marquise de Villeroi, Mme de Montmorency, la délicieuse Mme de Scudéry, veuve du poète matamore Georges de Scudéry, de laquelle M. Girard-Gailly trace un portrait charmant et qui mériterait, exquise figure du XVIIe siècle, toute une étude minutieuse ; l’aimable Père Rapin, le judicieux et l’excellent Père Bouhours, ami dévoué, qui donna à Bussy sa dernière joie, en le rendant agréable à Mme de Maintenon et en le réconciliant ainsi avec Louis XIV ; l’original et cordial Corbinelli, trait d’union entre Mme de Sévigné et Bussy ; Mme de Sévigné enfin, à qui M. Girard-Gailly a fort bien fait de consacrer tout un chapitre, et à qui nous ne pouvons faire moins que de donner tout un paragraphe.

Mme de Sévigné a fait du tort à Bussy devant la postérité. Je veux dire que la postérité étant tombée amoureuse de Mme de Sévigné et Mme de Sévigné ayant eu des démêlés avec Bussy, la postérité a donné à Bussy tous les torts et l’a cruellement honni. Peut-on avoir été en querelle avec Mme de Sévigné ? Et si l’on est dans ce cas, n’est-on pas un coquin ? La vérité est que, comme c’est assez l’ordinaire, il y eut des torts des deux côtés. J’ai à peine besoin de dire que, si la postérité les a mis