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insistait sur les rapports religieux des catholiques d’Allemagne avec leur chef spirituel, et qui l’invitait à faire des réserves, au nom de la Prusse, pour une « position digne et indépendante du Saint-Siège. »

Brassier savait lire. Il montra le tout à M. Visconti Venosta. La dépêche qu’avait reçue Arnim ouvrait à l’Italie la route de Home ; la dépêche qu’avait reçue Brassier s’occupait déjà des solutions ultérieures. Bien traduits, bien expliqués, les deux messages se complétaient. La formule plus cavalière qu’exacte : Italia farà da se, ne pouvait s’accomplir jusqu’au bout sans une défaite de la France et sans un contreseing de la Prusse : ce contreseing était donné.

Arnim, à Rome, se garda bien d’ébruiter ses instructions. Dès le matin du 15 septembre, cependant, son secrétaire Limburg-Styrum expliquait dans un cercle que le Cabinet de Florence représentait dans la péninsule l’élément de l’ordre et de la stabilité ; et Lefebvre de Béhaine, perspicace écouteur, gênant pour Arnim comme il le sera plus tard pour Crispi, augurait, d’après ce propos, que la Prusse et l’Italie auraient bientôt partie liée. Bismarck, ce jour-là même, avait ses quartiers à Meaux, où il resta jusqu’au 19 ; et, de là, il faisait sonder pour une Triple Alliance les Cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg, avec la pensée, nous dit-il dans ses Souvenirs, que la monarchie italienne s’y joindrait. La coïncidence fait singulièrement honneur à la divination de Lefebvre de Béhaine.

Aux époques normales, où le contact est incessant entre un diplomate et son chef, Arnim souffrait : sa pétulance émancipée n’aimait remplir une mission qu’à la condition de l’outrepasser ; quelque somptueux, quelque flatteurs que fussent les cadres proposés à son action, elle s’ingéniait toujours à s’en évader. Tout en lui, défauts et qualités, l’aurait prédestiné à être l’un de ces agens secrets dont les démarches n’engagent qu’eux-mêmes ; leur pays parfois en prend acte et en bénéficie, mais jamais n’en est responsable ; au gré des circonstances, on les appuie ou bien on les désavoue, on confirme leurs paroles ou on les dément, on les décore ou on les déshonore, on glorifie leur esprit d’aventure ou bien on les traite d’aventuriers. Les événemens troubles, où l’on tarde à voir clair, et qu’un regard lointain peut à peine discerner, sonnent pour ces hommes-là l’heure de la besogne. La scène diplomatique fuit alors, relâche ;