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par lesquels la Constitution prussienne de 1850 garantissait aux Eglises leur autonomie : la paix religieuse lui paraissait plus compromise qu’assurée par cette générosité, car une Eglise libre de ses mouvemens peut entraver l’absolutisme de l’Etat, et c’est ce que Bismarck ne voulait pas. Il aurait volontiers accepté, en 1866 et 1867, l’institution d’une nonciature à Berlin, ou bien l’établissement d’une sorte de primatie qu’aurait exercée Ketteler sur le catholicisme allemand ; il était trop soucieux des réalités pour professer, en théorie, que l’Etat devait ignorer l’Église romaine, et pour se refuser à causer avec elle. Un nonce d’ailleurs peut se laisser leurrer, un primat peut se laisser asservir ; et Bismarck enfin réservait à l’Etat le droit de passer outre si les pourparlers échouaient.

Mais lorsqu’on face de l’Etat se dressait une vaste organisation religieuse, régnant sur les consciences et les votes de ses fidèles, et devenant, par cela même, une force d’opinion et une puissance civique, Bismarck murmurait et grondait, et Bismarck jugeait étrange que, par la Constitution de 1850, l’Etat prussien, de gaieté de cœur, eût permis à ce colosse voisin de prendre tant de place, et d’épanouir une telle richesse de vie.

Bismarck, aussi, avait toujours épié la balance des forces politiques ; et dans cette balance, il avait regardé quel genre de pesée le catholicisme exerçait. Il avait cru voir, entre les intérêts de l’Autriche et les intérêts de l’Eglise romaine, une solidarité, et constaté ou deviné, en 1854, des sympathies autrichiennes chez les catholiques badois qui luttaient pour l’archevêque Vicari : tout de suite, simple plénipotentiaire à Francfort, il avait remontré à Manteuffel et aux hommes politiques du Sud la nécessité d’une sorte de Corpus evangelicorum, dont la Prusse serait la tête. Puis il avait, au cours des événemens ultérieurs, identifié catholicisme et polonisme, catholicisme et guelfisme ; et lorsque, en 1867, s’insurgèrent devant lui, dans le Parlement de l’Allemagne du Nord, les scrupules légitimistes de Mallinckrodt, ce fut contre le catholicisme, encore, que ses mécontentemens s’aigrirent. On le vit même, dès ce moment-là, commencer de rechercher les péchés de Rome contre l’Allemagne : il parla du grand Interrègne, si néfaste à la vieille Germanie, et en rendit responsables les Guelfes et les ultramontains de jadis ! Ainsi s’apprêtait-il à faire front, avec des argumens de polémique, dès qu’il discernait un