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l’Allemagne, il ne fallait pas que des organisations issues de Dieu ou se couvrant de Dieu gênassent l’Empire et fussent en conflit avec l’Empereur. Soucieux avant tout de son devoir envers l’Etat, Bismarck voulait dans l’accomplissement de sa tâche être, si j’ose dire, épaulé par Dieu, mais jamais retardé ni surtout jamais gêné par des hiérarchies ou par des individus se réclamant de Dieu.

Franc-maçon, il ne l’était point ; il disait vrai quand il s’en défendait. Ne lui prêtez pas, non plus, cette haine fanatique contre l’Eglise romaine, qui parfois anime certains luthériens : ses propos de table sont très sincères, lorsqu’il dit que chacun doit pouvoir faire son salut à sa façon, ou lorsqu’il s’indigne contre le vieux temps, où chaque pasteur était un petit pape. Mais il jugeait inadmissible, en théorie, que des forces ambitieuses qui s’appellent les hiérarchies ecclésiastiques fissent figure d’opposantes, et se rendissent incommodes au pouvoir civil ; et Bismarck racheté par Dieu, Bismarck assisté par Dieu, ne devait jamais supporter que l’intérêt de Dieu pût être l’occasion d’un conflit avec l’Etat. Ne comprenant pas ce qu’est une société religieuse, comment en aurait-il conçu les susceptibilités ? « Il pense, disait expressément le comte Stolberg, en 1881, au futur ministre Bosse, qu’à la rigueur l’Etat lui-même pourrait aviser à l’organisation extérieure de la religion, et c’est là son erreur. » Erreur très opportune, en vérité : un homme d’Etat qui croit que les Eglises ne sont pas des cadres absolument indispensables et qu’après tout l’on pourrait se passer d’elles, peut, alors même qu’il est chrétien, prendre à leur égard de singulières libertés.

L’Eglise protestante prussienne, telle surtout que l’avait réorganisée Frédéric-Guillaume III en y juxtaposant, de force et bon gré mal gré, calvinistes et luthériens, était à proprement parler chose d’Etat ; mais l’Eglise romaine, tenace dépositaire du texte évangélique qui sépare le domaine de César et le domaine de Dieu, affectait de se distinguer de l’Etat ; et se distinguer, parfois, c’était s’opposer. Cela suffisait pour que Bismarck, à toute époque de sa vie, éprouvât à son égard des suspicions toujours promptes à l’hostilité. « Si une secte comme les ultra mon tains, professait-il, ne peut s’accorder avec les fins de l’Etat et même les attaque, l’Etat ne peut la tolérer. »

Jamais il ne considéra comme viables les judicieux articles