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de la guerre. Mais, pour les maudire, il fallait les connaître et sur ce point, le député de Carnarvon se trompait, je crois, comme tant d’autres et comme nous-même. Tout en réservant le jugement définitif à porter sur ces choses, on est obligé de constater que Lloyd George, à cette époque, montra un vrai courage, en risquant sa popularité. A Birmingham, dans la ville de Chamberlain, où il était venu provoquer le grand homme, il dut s’échapper, déguisé en policeman, de la salle où il venait parler et, dans sa propre circonscription, à Bangor, il fut violemment houspillé par la foule. Pourtant il était réélu au parlement, en pleine guerre, avec 400 voix de majorité, et cette élection était célébrée à la montagne par des scènes de joie populaire auxquelles l’heure tardive et la beauté sauvage des lieux donnaient un caractère étrange et émouvant. Dans le récit qui en a été fait par des témoins oculaires, on sent vibrer les nerfs d’une race enthousiaste et passionnée, plus proche, peut-être, de celle qui a fait la révolution de 1789 que de celle qui a fait la révolution de 1688.

Dès l’ouverture du parlement khaki, nous retrouvons Lloyd George posté dans ce coin d’où il avait vu, certain soir du printemps de 1884, s’élancer lord Randolph Churchill. Comme, lui, il ne s’attaquait qu’au gros gibier et, plus d’une fois, il fit pâlir de colère le vieux tribun de Birmingham, en usant et en abusant des procédés oratoires dont il avait appris de lui le secret.

Après la retraite de lord Salisbury, deux grandes discussions, l’une dans le parlement, l’autre hors du parlement, occupèrent les dernières années du gouvernement conservateur : la réorganisation de l’enseignement primaire et la réforme douanière. Lorsqu’on parle de « réorganiser » l’instruction primaire, pas plus en Angleterre qu’en France il ne s’agit d’obvier aux défauts du système et de rendre l’enseignement plus efficace ; la question religieuse domine tout ; mais, alors que, chez nous, elle se pose entre catholiques et libres penseurs, elle met aux prises, de l’autre côté du détroit, les forces rivales de l’Eglise officielle et des congrégations dissidentes. En cette circonstance, les non-conformistes n’eurent pas de champion plus énergique, ni les tories de plus redoutable critique que Lloyd George ; et M. Balfour, avec cet esprit de justice qui le caractérise, et cette courtoisie qui adoucit, à Westminster, l’âpreté des luttes politiques, a rendu hommage à son assiduité comme à ses talens.