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répudiation par Stanislas-Auguste des efforts héroïques de ses défenseurs en juillet 1792, — aurait-il du moins été retardé, ou bien se serait-il accompli dans des conditions plus honorables pour son souvenir, si sa femme « morganatique, » Mme Grabowska, et tout son entourage ne lui avaient point représenté l’indigence où le réduirait sa fidélité à la cause nationale.

Un exemple curieux de l’extravagant désarroi financier qui régnait en permanence dans le « Versailles des bords de la Vistule » nous est fourni par l’aventure du bibliothécaire et « lecteur » suisse Reverdil, mandé à Varsovie en 1766, et destiné à y demeurer vingt ans parmi toute sorte d’incidens tragico-comiques. « Enfin, je vous tiens ! » s’était écrié Stanislas dès qu’il avait aperçu son nouveau « lecteur : » et le fait est qu’il allait « le tenir. » opiniâtrement, et pour l’employer aux besognes les plus imprévues. Après un premier échange de complimens, le Roi avait fait subir à Reverdil un long et minutieux examen sur sa connaissance de la langue anglaise : à tel point que le « lecteur » s’attendait déjà à se voir congédié, faute de posséder suffisamment les secrets d’une langue dont pas une fois, dans la suite, lui et son maître ne devaient se servir. Mais non : Stanislas, au bout de l’examen, s’était montré si satisfait qu’il avait promis au jeune Suisse un supplément de quatre ducats par mois, pour lui permettre de pousser plus à fond ses études anglaises.

Le véritable emploi réservé au « lecteur » de Stanislas-Auguste était, en réalité, d’épouser les maîtresses du Roi, après que celles-ci avaient cessé de plaire. C’est ainsi que, dès l’année suivante, Reverdil avait eu à se marier avec une demoiselle Marianne-Constance L., qu’il avait, d’ailleurs, immédiatement expédiée en Suisse, dans son village, faute d’avoir les moyens de la nourrir chez lui. Huit ans plus tard, c’était une autre amie du Roi, ornée de l’inquiétant prénom de « la petite Dalila, » que le malheureux bibliothécaire avait dû accepter pour compagne, en échange de la précédente, dont un divorce l’avait délivré. « Mon second mariage, — nous dit-il, — qui était entièrement, de ma part, un acte de politesse, bien loin de me devenir profitable comme je l’avais espéré, ne fut rien qu’une source infinie de contrariétés. » Le pauvre homme n’osait point sortir de chez lui, n’ayant plus d’habits convenables à se mettre sur le dos, mais surtout craignant la rencontre de ses créanciers. De temps à autre, il est vrai, son maître le gratifiait de magnifiques cadeaux, tels qu’un « cabinet » contenant la collection complète des médailles frappées en son honneur. « Mais, observe-t-il pitoyablement, de quel plaisir pouvait être pour moi un