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retraite. Le 21 décembre, nouveau décret qui, sans les condamner à l’exil, les déclare suspectes, et les fait arrêter. Beaucoup furent jetées en prison, parfois dans leur ancien monastère. Dans la seule ville de Tours on en vit enfermées jusqu’à trois cents. Après la tourmente, les hospitalières seront les premières rappelées par les municipalités et, sous le Consulat, le ministre Chaptal fera officiellement l’éloge des Sœurs de Charité.

En attendant, il faut traverser la Révolution. A tous les dangers qui les menacent vient s’ajouter la misère. La Constituante ne s’était pas montrée généreuse envers les religieuses. Au lieu de fixer pour leur pension une somme déterminée comme pour les moines, elle avait décidé que les communautés dont les revenus dépassaient un certain chiffre subiraient une réduction, tandis que les plus pauvres seraient pensionnées d’après leurs anciens revenus, ce qui était condamner ces dernières à l’indigence. Le pire, c’est que ces pensions, même établies parcimonieusement, ne furent guère acquittées. Le refus opposé par le grand nombre au serment de liberté et d’égalité fournit un prétexte pour ne leur rien donner. Elles n’avaient aucune provision pour l’avenir. Après le premier inventaire fait par les municipalités, tous les biens des couvens avaient été mis sous séquestre, ce qui avait été déjà une cause de ruine pour ces couvens mêmes, leurs débiteurs, leurs tenanciers, s’autorisant du nouvel état de choses pour ne rien payer. Quand sonna l’heure de la dispersion définitive, on n’avait laissé aux religieuses expulsées qu’un peu de linge et le pauvre mobilier de leur cellule. Elles ne pouvaient aller bien loin, ni richement avec ce maigre viatique. Aussi de divers côtés c’est la détresse. Nombreuses étaient les maisons dont on pouvait dire comme des Bernardines de Pontarlier dans une requête au département : « Elles sont réduites à la dernière misère. Il faut que nous-mêmes boursillions au jour le jour pour les empêcher de mourir de faim. » Et deux semaines après : « Pour le coup, si vous ne nous envoyez pas une ordonnance de paiement pour nos Bernardines, la place n’est plus tenable. Nous sommes persuadées qu’elles n’ont rien à mettre sous la dent. »

N’importe, ce n’est pas la perspective de la misère qui avait empêché ces saintes filles de faire leur devoir. Elles sortent de leurs couvens avec la pauvreté, mais aussi avec une conscience pure, souvent avec Dieu lui-même. Dans une abbaye du diocèse