Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/907

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On aura remarqué que le décret du 4 août 1792 n’exceptait pas de la destruction les communautés régulières enseignantes. C’est que la pensée de la Révolution a évolué en matière d’éducation comme en tout le reste. L’instruction publique, qu’on semblait pendant trois ans avoir abandonnée à l’Eglise, soit qu’on jugeât son influence morale et religieuse utile à la jeunesse, soit plutôt qu’on n’eût pas d’autres maîtres que les siens, va être de plus en plus revendiquée comme un service public ne dépendant que de l’Etat. Les anciens instituteurs, fatalement mêlés à la question de serment à la Constitution civile du clergé, sont suspects de manquer de civisme ; et puis la Révolution serait heureuse, impatiente de confier à des hommes nouveaux le soin de réaliser un idéal nouveau d’enseignement. L’impulsion était donnée. Le décret du 18 août va compléter et aggraver celui du 4 août. Toutes les communautés séculières, sans en excepter les enseignantes et les hospitalières, étaient désormais supprimées comme les congrégations régulières. L’expulsion des dernières religieuses est imminente.

Avec quelle douleur elles vont quitter leurs pieuses retraites ! Dans une maison du Nord, les Clarisses, auxquelles on ne peut rien prendre que la liberté de prier Dieu entre quatre murs dénudés, ne s’expliquent pas pourquoi on les chasse, et tentent, le 10 septembre 1792, un dernier effort auprès des officier de la municipalité par cette lettre touchante :


Messieurs, écrit la Supérieure, je ne peux pas vous exprimer l’excès d’angoisse où nous met la signification que nous reçûmes hier de votre part. Il nous serait moins rigoureux qu’un glaive coupât le fil de nos jours que de franchir l’affreux pas de notre clôture. Que les maisons religieuses qui ont des fonds, soient supprimées, l’Assemblée nationale en a, dites-vous, besoin, cela s’entend ; mais nous qui ne pouvons lui en donner, n’en ayant pas, et ne souhaitant rien plus que de demeurer dans notre humble état de pauvreté, de quelle ressource pouvons-nous être à la Nation, sinon d’offrir continuellement nos faibles prières à l’Être suprême, à cette fin de lui attirer les grâces dont elle a besoin. C’est ce que nous nous efforçons de faire, Messieurs. Soyez-en, s’il vous plaît, persuadés, en particulier pour vous tous qui êtes nos bienfaiteurs et envers qui nous avons tant d’obligations, s’il vous plaisait nous accorder la faveur que nous sollicitons avec toute l’instance dont nous sommes capables. Nous vous offrons, Messieurs, à donner le loyer de notre maison ; nous nous contenterions, s’il le fallait, de pain et d’eau pour donner le tribut à la Nation. De grâce, Messieurs, ne nous fermez pas les entrailles de votre miséricorde. J’ose humblement l’espérer.