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siècles ; elle n’a pas toujours couvert tout le métier organisé, ni protégé également le maître, le valet, l’apprenti[1]. Il est venu un temps où l’ouvrier s’est senti ou s’est cru si peu défendu, et, au contraire, si certainement opprimé par elle, qu’à côté d’elle et contre elle il s’est réfugié et comme caché dans le compagnonnage. À partir de ce moment même, quand l’ouvrier, sorti de la corporation, entre dans le compagnonnage, quand, séparé du maître, il se pose en face de lui et bientôt s’oppose à lui, quand le groupement se fait non plus un et deux, maître et valet comme jadis, mais un et un, maître et maître, ou deux et deux, compagnon et compagnon, l’embryon de la classe ouvrière existe, il est à point, il n’attend que le foyer concentré de la grande industrie pour évoluer pleinement et mûrir. Et, à partir de ce moment, un changement profond, un changement de fond, se fait ou se prépare dans l’État ; en cette évolution gît le secret de plusieurs révolutions.

C’est par conséquent une importante et instructive histoire que celle de la corporation et du compagnonnage dans leurs relations avec l’État ; c’est celle qu’on a sinon négligée, du moins insuffisamment dégagée, et c’est celle dont je voudrais, à l’aide des matériaux amoncelés par l’érudition des autres, tracer un sommaire, sachant tout ce que la position du problème des rapports de l’État avec le Travail et le Nombre y gagnera en précision et en netteté.


II

Pour commencer, essayons de définir la corporation par comparaison avec les institutions et les idées qui nous sont familières. Sous le très ancien régime du travail, dès qu’on l’aperçoit (XIIIe, XVe, XVe siècles), c’est une sorte de syndicat mixte, commun au maître et au valet, corps complet et corps parfait dans le milieu politique morcelé, fragmentaire, d’alors ; je veux dire ayant son pouvoir propre, sa législation en forme de réglementation statutaire, qui oblige les uns et les autres, sa juridiction particulière à qui les uns et les autres ressortissent. Puis cela tend à être, et ce sera dans la suite, au lieu de ce syndicat mixte, où le maître et le valet étaient tous les deux chez soi,

  1. G. Fagniez, ibid., p. 88, 89.