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département, et des vierges fondées par cette femme étonnante gardent la cendre des deux amans. Les voûtes du Paraclet retentissent encore, dans le silence des nuits, de ces cantiques que la religion inspirait à l’amour malheureux. Tout respire dans ces lieux saints les élans de ce cœur sensible et de cette âme ardente, qui ne vit rien dans la nature à substituer à son amant que son Créateur. Héloïse s’y retrace à chaque pas, et quel sera l’homme assez froid pour aller disperser cet établissement que défend un charme secret composé de ce que la religion a de plus imposant, l’amour, de plus tendre, la sensibilité, de plus affectueux ? Qui oserait attrister l’ombre d’Héloïse ? » Hélas ! le comité ecclésiastique de la Constituante, moins sensible que le procureur syndic, eut ce courage. Malgré la vive opposition des habitans, le Paraclet fut condamné. Les cendres d’Abélard et d’Héloïse furent placées dans un cercueil commun et transportées à l’église de Nogent. Le curé intrus, Mesnard, prononça un discours et mit sur le cercueil une couronne de fleurs avec une pièce de vers anacréontiques. Les religieuses vouées à l’amour divin avaient été sacrifiées. Un illustre souvenir de l’amour humain évoqué pour la circonstance ne put sauver le Paraclet de la ruine.


IV

Dans leur requête à la Constituante, les religieuses font ressortir un argument qui, dans leur pensée, devait avoir une certaine influence. Leurs informations et, au besoin, leur psychologie, leur avaient appris qu’une des grandes raisons qui poussaient la Constituante à supprimer les Ordres religieux, c’était de s’emparer de leurs biens. Or, en général, — la constatation en fut faite en pleins Etats généraux, — les couvens de femmes n’étaient pas riches ; beaucoup même étaient très pauvres. On ne s’étonnera pas de rencontrer cette pauvreté chez les Clarisses, dont le fondateur François d’Assise en avait fait la grande règle de son Ordre. Un trait particulièrement touchant est à signaler chez les Clarisses anglaises réfugiées à Rouen. Leur dénuement était tel que, lorsque le pain venait à manquer, elles sonnaient leur cloche. À ce signal, on voyait accourir les Sœurs tourières de la Visitation, établies dans le voisinage, qui apportaient des provisions. A Amiens, les enquêteurs apprennent chez les Clarisses avec quelle obstination le couvent, qui datait de quatre cents