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nous n’avons pas un plus grand terrain que le nécessaire. Dites-moi ce qu’il faudrait faire pour parvenir à n’être pas détruites. Voilà toute notre crainte. Nous ne virons pas d’inquiétude. Je connais assez votre bon cœur pour ne pas douter, monsieur, que vous avez pitié de notre situation qui est bien dure, je l’avoue.


Voilà une prieure, une Montmorency-Laval, qui prend le parti de s’adresser nettement aux législateurs, au rapporteur, et qui ne craint pas de vanter le bon cœur de Treilhard. Cet exemple n’est pas unique. Nous avons déjà entendu les Carmélites de Pontoise, de Salins, implorer les députés de la Constituante, les traiter de bienfaiteurs et de pères, de libérateurs du peuple français, les conjurant de les sauver. La supérieure des Carmélites de Chaumont, après avoir dit sa ferme espérance que les noms de ses dix-neuf religieuses « sont écrits dans le livre des élus de Dieu, » ajoute : « L’on sait avec quel zèle sainte Thérèse, notre fondatrice, nous a recommandé de prier pour les besoins de l’Église et de l’Etat. Maintenant qu’ils sont plus pressans, nous redoublons nos prières et nos vœux. » Une Ursuline, écrivant à l’Assemblée, dit sa confusion de porter ses « faibles pensées dans l’Océan des lumières. »

On prie pour les députés, on les appelle Messeigneurs. La religieuse qui tient la plume au nom des Ursulines de Montbrison qualifie les législateurs de la Constituante de « pères du peuple, héros de la nation, » et même de « destructeurs du despotisme. » Il eût fallu aux députés un cœur bien dur pour n’être pas sensibles à de telles épithètes proférées par des bouches virginales. Une grande dame, qui avait pu apprendre la langue politique à l’école de son parent, M. de Montmorin, alors ministre des Affaires étrangères, la sœur de Montmorin, abbesse de la fameuse abbaye de Jouarre, fondée au VIe siècle et restée célèbre par ses démêlés avec Bossuet, écrit au comité ecclésiastique combien il lui en coûterait de quitter cet illustre monastère peuplé de cinquante religieuses dont elle est abbesse depuis cinquante ans. Elle se fera un devoir de mériter la protection de la Constituante où réside, dit-elle, « le pouvoir législatif. » Elle supplie l’illustre assemblée de regarder cette maison comme un « asile national qui n’aura d’autre ambition que de remplir les vues de la nation. » Voilà dans la bouche d’une religieuse de marque un langage d’une parfaite orthodoxie parlementaire. D’autres sœurs s’essaient au jargon du temps et au langage