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du cloître et la pratique des vœux amènent une lassitude, un dégoût même, que n’avait pas fait pressentir le noviciat, et qui prouvent qu’on n’est pas fait pour la vie religieuse. Le remède à cette situation, qui est, de nos jours, la liberté de partir, avec l’assentiment toujours facile de l’autorité ecclésiastique, était beaucoup moins pratique dans l’ancien régime, où l’Eglise et l’Etat faisaient bonne garde à la porte des monastères.

Malgré cette différence de législation, les cas de stabilité forcée étaient très rares. Aujourd’hui, comme autrefois, le monde s’étonne de ces existences mystérieuses qui se déroulent dans le cloître, en dehors des lois communes, et paraissent trouver le bonheur en l’absence de tout bonheur. On ignore trop ce que peuvent, après une première décision prise, l’exemple, la règle, la distribution d’une journée tout orientée vers le ciel, bientôt l’habitude, pour affermir une vocation, pour acclimater une âme dans la solitude, pour l’y tenir en haleine par l’entraînement incessant des exercices de piété. On oublie que le sentiment religieux tient lui aussi au fond de notre nature, qu’il peut s’alimenter, croître jusqu’à l’exaltation, procurer un enivrement divin qui dépasse toutes les joies de la terre. Et comme, à la différence des affections humaines qui résistent difficilement à l’épreuve du temps et de l’expérience, qui à l’user rencontrent trop souvent la déception là où elles croyaient trouver l’idéal, comme ici la poursuite du cœur s’adresse à un époux céleste trop présent pour laisser ce cœur sans consolation, trop lointain aussi et trop parfait pour qu’il n’y ait pas toujours place pour l’attraction, pour l’ascension vers l’inconnu et l’infini, il s’ensuit que des existences presque séculaires peuvent se dérouler dans un perpétuel sursum corda qui frise le perpétuel bonheur.

Dans ces conditions, si l’ouverture des couvens put paraître, sous la Révolution, libératrice aux hommes qui ne demandaient qu’à partir, quelle épreuve, quelle cruauté ce sera pour les femmes qui y trouvaient la paix et le bonheur, qui en avaient fait le lieu, le foyer de leur vie, que de les inviter, que de les contraindre à en sortir, que de les arracher à leurs douces habitudes, à leur existence discrète, à cette atmosphère tout imprégnée de divin qu’est le cloître, pour les jeter tout d’un coup en plein vent du siècle, dans tous les bruits du dehors, dans les agitations, les combats, les dangers d’un monde qui ne les connaît pas et qu’elles ne connaissent pas, où elles risquent