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Cette vaste enquête qui, dans la pensée de quelques législateurs philosophes, devait apporter la délivrance à tant de victimes cloîtrées, provoqua, au contraire, une explosion de confidences où se révèle avec un relief singulier la mentalité des religieuses au moment où elles vont être dispersées par la tempête révolutionnaire. Ce testament, qu’on les amène ainsi à formuler à la veille de les frapper, se recommande par la variété et la vérité des témoignages qu’il apporte, par la noblesse, par la sublimité des sentimens qu’il exprime. Il n’a pas manqué, dans l’histoire, des monastères dont les austérités, la ferveur, racontées au public, ont édifié la postérité. Il s’agit ici, non de quelque exception, mais de l’universalité des couvens de femmes[1] de toute une grande nation. Et dans cette nation il s’agit du siècle de Voltaire et de Diderot, de l’époque même où la Révolution, imbue de leurs principes, va disperser les religieuses sous prétexte de les libérer. Cette Révolution leur demande à toutes de faire parler leur conscience, de raconter leur âme, de dire par écrit l’état de leurs sentimens intimes. Par le fait même qu’elle leur montre grande ouverte la porte de leur cellule, elle les invite assez nettement, et au besoin en paroles, en actes, à la franchir. Or, il suffit de parcourir les déclarations de ces milliers de femmes pour assister à une explosion de protestations, de supplications, de professions de foi et de stabilité des plus énergiques. A lire ces pages, toutes frémissantes encore de l’émotion qui les inspire, il n’est pas possible de n’être point frappé de la vitalité d’une Église dont la sève religieuse semblait tarie, et qui savait donner, en 1789, à une légion de créatures humaines tant d’idéal, tant de résolution, tant de pureté, tant de bonheur.

Ces réponses, cette statistique tranchent donc la question soulevée alors. Y avait-il dans les couvens de nombreuses vocations forcées ? Qu’il s’en rencontrât quelques-unes, nos documens en font foi ; mais le chiffre en est si minime que les religieuses volontaires nous apparaissent la presque-unanimité. Encore peut-on dire que, pour les repentantes, le tort de l’ancien régime fut moins de les avoir fait entrer par force que de les empêcher de sortir. Il peut arriver qu’à la longue, l’expérience

  1. Nous n’avons point à parler ici des chanoinesses, d’ailleurs généralement recommandables. Ce n’étaient point des religieuses, mais des dames appartenant à des chapitres demi-séculiers.