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villages ne pourraient pas prouver, par des titres, leur appartenir. Voilà un exemple topique d’une excellente intention aboutissant à une mesure détestable, car les villages n’ont pas de titres ; leurs droits sont traditionnels, séculaires : y toucher brutalement serait soulever des colères et créer des misères.

L’Albanie bien gouvernée peut devenir, pour la Turquie d’Europe, une précieuse réserve d’hommes, de richesses et d’énergie ; mal gouvernée, elle est peut-être l’obstacle sur lequel viendra se heurter et se briser l’œuvre des Jeunes-Turcs. L’Albanie est, dans la Turquie d’Europe, le centre de la résistance musulmane à la poussée chrétienne. On a pu dire, avec quelque exagération d’ailleurs, que le Turc n’est que campé en Europe ; mais l’Albanais, lui, est autochtone. L’esprit nationaliste s’est beaucoup développé, nous l’avons vu, en ces dernières années ; il n’est pas encore devenu un esprit séparatiste ; la majorité musulmane est fidèle au Commandeur des Croyans. Mais déjà, un peu partout, parmi les catholiques du Nord ou les Tosques hellénisés, des esprits plus hardis, des jeunes gens élevés en Autriche ou des émigrés revenus d’Amérique, rêvent l’organisation de l’Albanie en une sorte de Confédération, sur le modèle de la Confédération suisse, ou à l’image des anciens dans écossais. La Mirditie serait le premier noyau du futur Etat qui, lui-même, serait un des membres de la Confédération balkanique, — un rêve elle aussi, mais qui hante des esprits de plus en plus nombreux. Une Albanie indépendante deviendrait la pierre angulaire d’une telle Confédération ; mais sa naissance serait probablement aussi le prélude de l’expulsion des Turcs d’Europe.

Or, l’avenir de l’Albanie ne se décidera pas seulement entre Albanais et Turcs, et c’est à quoi ceux-ci feront bien de prendre garde : l’Europe, et plus particulièrement l’Autriche et l’Italie, sont, au premier chef, intéressées dans la question.


V

Etre maître d’une route, au point de vue militaire, ce n’est pas seulement occuper la vallée où est tracé le chemin, c’est surtout tenir les hauteurs qui la dominent. Le maître de la route de Salonique, c’est le maître de l’Albanie. Depuis que l’Autriche a des visées sur la route de Salonique, elle a une politique en Albanie. A plus forte raison ne peut-elle se