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chargés du recensement ; leurs chefs demandèrent son appui à Prink Pacha qui répondit loyalement que, quant à lui, il soutiendrait le gouverneur. Les canons de la forteresse furent braqués sur les quartiers musulmans ; un hodja et un bey furent arrêtés, et les musulmans, intimidés, se soumirent. En même temps, les tribus catholiques de Sciala, Sciasti, etc., adressaient au vali une pétition, que l’on disait rédigée par Mgr Miédia, coadjuteur de l’archevêque de Scutari, alors en tournée dans la montagne ; elle a le mérite de bien poser la question. « Si le nouveau régime n’est pas une fiction, disait-elle, nous sommes prêts à rentrer dans le droit commun ; nous acceptons l’impôt, le service militaire, mais à la condition que les musulmans de Scutari y soient soumis également et que le système du « bulukbachi » et du « serguirdeh » musulman, consécration de l’inégalité des droits entre les deux religions, soit aboli et que chaque tribu choisisse ses magistrats. Si l’ancien régime doit, sous un nouveau nom, rester en vigueur, nous réclamons, comme il est juste, le maintien de nos immunités. » Tel est, en effet, le dilemme en face duquel, dans toute l’Albanie ; se trouvent les Jeunes-Turcs : s’ils réalisent l’égalité réelle des droits entre les diverses confessions, ils risquent de mécontenter la majorité musulmane ; s’ils ne le font pas, ils donnent aux redoutables montagnards une raison valable de ne pas se plier au droit commun.

En Epire, malgré les efforts de Nazim Pacha, nommé vali en janvier dernier, la situation est devenue de plus en plus difficile. Les Grecs, malgré la fraternité proclamée dans la Constitution, sont restés les ennemis acharnés des musulmans ; ils comptaient, aux élections, obtenir cinq députés ; ils n’en eurent que trois, dont deux à Janina ; l’un d’eux fut le fameux Ismaïl Khemal bey qui devint président de l’Union libérale et joua le rôle considérable que l’on sait dans le coup d’Etat du 13 avril. Les musulmans, quoique moins nombreux, obtinrent quatre députés. Dans les campagnes, le nationalisme albanais ne cesse de faire des progrès ; il s’associe, de plus en plus, au mouvement valaque, et s’oppose à l’hellénisme. La dîme ne rentre pas ; la famine, le brigandage, les bandes grecques, désolent les campagnes. Les Tosques, réunis en congrès à Tepelen, à la fin de mai, ont formulé leurs revendications et pris conscience de leur force. Ismaïl Khemal bey, après l’entrée à Constantinople de l’armée de