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là qu’il vient se reposer après la rude bataille qu’il mène au loin pour vivre et pour s’enrichir.

La conscience religieuse de l’Albanais est plus complaisante en apparence qu’en réalité ; il reste, au fond du cœur, attaché aux vieilles pratiques traditionnelles, aux antiques croyances qui forment le fond religieux de son âme nationale. L’Albanais, surtout quand il est dans les villes, fait les gestes d’un musulman fidèle ; mais, illettré, il ignore le Coran ; sa religion reste un bizarre mélange de christianisme et d’islamisme ; il révère saint Georges et saint Nicolas, et si le mollah ne sait pas les paroles qu’il faut pour guérir son enfant malade, il le porte chez le moine ou chez le prêtre du voisinage. Il garde des prénoms chrétiens et porte des médailles avec la croix. Presque tous les Albanais musulmans sont affiliés à la secte très curieuse des Bektachis. Ceux-ci représentent ; dans l’Islam, la tolérance, presque le scepticisme ; leur religion devient une sorte de philosophie humanitaire qui regarde comme superflues les pratiques rituelles et qui ne tient pour essentiel que le fond de théisme et de charité humaine qui se retrouve à la base de toutes les religions élevées. L’Albanie a produit des hommes d’État et de grands généraux ; elle n’a donné de saints à aucune religion.

Passé maître en bravoure comme en intrigues, l’Albanais fait brillante carrière au service des Sultans de Stamboul. Il gouverne l’Empire, au XVIIe siècle, et lui redonne le lustre de la victoire avec la dynastie des grands vizirs Köprilu. Avec Ali de Tebelen, il tente de fonder un Etat turco-albanais en Épire. Avec Mahmoud, il écrase la révolte grecque. Avec Mehemet-Ali, il galvanise l’Egypte et manque de s’asseoir sur le trône des Khalifes. Avec Ferid Pacha, il était, hier encore, grand vizir. Abd-ul-Hamid a des ménagemens tout particuliers pour les Albanais ; il s’entoure d’une garde albanaise dont la présence au Palais assure aux Arnaoutes des montagnes toutes sortes de faveurs et d’impunités. Ils remplissent l’armée et les fonctions publiques. Chez eux, leur obéissance est purement nominale ; on ne leur demande ni impôt ni service militaire régulier ; les fonctionnaires qui sont censés les gouverner n’osent pas sortir des villes, parfois pas même de leur konak. Les Albanais sont les favoris de l’ancien régime turc, et ils en abusent. Lorsque éclatent les troubles de Macédoine, ils se font les auxiliaires de la politique d’Yildiz ; ennemis séculaires tant des Serbes,