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promet de l’assister jusqu’au bout de la terrible épreuve. En effet, elle lui tient la tête au moment où le bourreau frappe. Le sang rejaillit sur sa robe. Mais, à cette minute tragique, Jésus lui apparaît, qui recueille dans son flanc ouvert l’âme du supplicié ; et, au retour de cette exécution, elle dicte pour son confesseur Raymond de Capoue une lettre dont je doute qu’on trouve l’équivalent dans toute la littérature mystique. Jamais le mystère de la Rédemption par le sang n’a inspiré une plus ardente frénésie d’amour et, si j’ose dire, un plus sublime enivrement. « Mon père, j’ai reçu une tête dans mes mains, et j’en ai ressenti une douceur que le cœur ne peut comprendre, la bouche raconter, l’œil voir, l’oreille entendre[1]… »

Cette sainte fille, née peuple et robuste, et qui, avant de se macérer dans les pénitences et de s’épuiser dans les jeûnes, « prenait facilement sur ses épaules la charge d’un cheval et la portait en montant très vite deux grands escaliers[2], » cette prodigieuse visionnaire, d’une étonnante lucidité, dont la parole tendre ou rude et toujours décisive se gravait du premier coup dans les âmes et s’inscrivait au livre d’or de la langue italienne, s’est changée, sous la baguette de Selma Lagerlöf, en une petite personne menue, une petite vierge bavarde qui raconte au misérable condamné ses visions et son mariage mystique avec Notre-Seigneur. » C’était la dernière nuit du carnaval. Les balcons semblaient des cages bariolées accrochées aux murs des grands palais… Je vis une verte prairie où la mère de Dieu était assise parmi les fleurs ; et, sur ses genoux, Jésus jouait avec des lys… » Cette prairie-là, ne la cherchez pas autour de Sienne : vous la rencontrerez en Dalécarlie, pour peu que vous suiviez les petites paysannes illuminées qui sortent du prêche. Le dernier jour du Carnaval, où, selon le récit qu’elle en fit plus tard à Raymond de Capoue, s’accomplirent ses noces, Catherine ne vit point de prairie ; mais le Christ entra dans sa chambre avec la Vierge, saint Jean l’évangéliste, saint Paul, saint Dominique, ut le prophète David, « qui tirait de sa harpe des sons d’une extrême douceur » Et ce fut un tableau comme celui où les peintres siennois nous peignent le Couronnement de la Vierge.

Certes, je ne conteste point à un romancier le droit de modifier

  1. Lettres de Sainte Catherine, traduites par E. Cartier (t. II. Lettre CXLIII).
  2. Vie de Sainte Catherine de Sienne, par le B. Raymond de Capoue (livre I ch. X).