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de la guerre russo-japonaise et de la façon dont les Allemands les envisagent.


V. — LA PÉNÉTRATION ALLEMANDE EN RUSSIE : LES INTÉRÊTS RUSSES

Les Russes ont constaté les fautes du régime autocratique et les difficultés extrêmes d’une réfection complète de l’Empire. Après Moukden, ils ont compris qu’il fallait limiter leurs ambitions et leur effort, restreindre en Europe la sphère de leur activité, pour concentrer leurs entreprises dans les régions maritimes du Sud, leurs ressources et leur crédit ne permettant plus les mêmes dépenses qu’autrefois. Ils ont plus que jamais besoin du concours loyal, et zélé, des Polonais devant le péril allemand.

Déjà les lois pour l’expropriation des Slaves dans l’Allemagne orientale les ont vivement touchés. Président et vice-présidens de la Douma, légistes, universitaires, aristocrates ont protesté contre elles avec véhémence : « La société russe est émue et indignée par une pareille tentative ! » s’est écrié le prince Dolgoroukoff. Ils voient dans les dernières mesures de la politique prussienne « une phase de la lutte engagée par le pangermanisme contre les Slaves,… l’engloutissement des populations slaves par la race germanique. Le germanisme n’est fort que par les divisions intestines de la famille des Slaves. »

Sur le territoire russe même, le péril grandit. Tout d’abord, le nombre des Allemands augmente rapidement dans des proportions effrayantes. Dans le Royaume, il a passé de 278 900 en 1863 à environ 500 000 en 1904, à 607 840 en 1908 ; à Lodz seulement s’en massent 125 000. Dans les gouvernemens voisins de Pologne, ils sont près de 150 000, plus de 300 000 dans les Provinces Baltiques. Au total, plus de 2 millions dans l’ensemble de la Russie occidentale. Il convient de considérer la proportion avec la population globale : 41 pour 100 dans certaines communes ; et plus encore avec la population russe : 21 Allemands pour 1 Russe dans le gouvernement de Plocz, 40 pour 1 dans celui de Kalisz, 54 pour 1 dans le gouvernement de Piotrkof. Ils sont presque tous protestans, évangélisés par des pasteurs impérialistes. Le tiers accomplit le service militaire en Prusse, et même ceux qui sont naturalisés Russes conservent leur nationalité allemande en vertu d’une loi votée à Berlin en 1892.