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aux Espagnols, pris en bloc, que la volonté persévérante ou même l’occasion d’exercer leurs naturelles aptitudes à toutes les formes de la vie pratique. Rien ne le prouve mieux que l’extraordinaire développement industriel des provinces cantabriques (lesquelles, par parenthèse, sont parmi les plus catholiques de l’Espagne), et principalement l’activité de la Catalogne.

Le simple touriste en est frappé, bien avant d’arriver à Barcelone. Dès Granollers, les usines et les agglomérations ouvrières commencent à s’échelonner des deux côtés de la voie. Le soir et le matin, aux approches de la banlieue, on croise continuellement des trains d’ouvriers tout bruyans de clameurs et de chansons. C’est que la ville est ceinte d’une vaste zone de faubourgs où pullulent les ateliers et les manufactures : Clot, San Martin de Provensals, Hostafranchs, la Corts, Sanz, Hospitalets. La plupart des industries nécessaires à une métropole et à un grand port de mer y sont représentées : minoteries, sucreries, raffineries d’huiles, usines de produits chimiques, fonderies, ateliers de constructions. Mais tout cela est au second plan : Barcelone est un des premiers centres européens de l’industrie des cotons. Elle vit de ses filatures et de l’exportation de leurs produits. Les cotonnades catalanes circulent à travers toute la Méditerranée. Naturellement elles se vendent d’abord dans la Péninsule ; puis à Naples, en Sicile et dans toute l’Italie méridionale ; en Grèce, en Turquie et même en Asie Mineure. Par la modicité de leurs prix, elles concurrencent heureusement celles de Manchester et de Charlestown. On peut dire que, de Smyrne à Cadix, une bonne moitié du menu peuple est habillée par les filateurs de Barcelone.

Dans une de ces manufactures, j’ai assisté à la série des métamorphoses du coton, depuis l’état brut jusqu’au lustrage suprême qui lui donne le brillant du velours et de la soie. Avec des mouvemens doux et rythmés, des tractions légères comme le tact des doigts féminins, les lourdes machines d’acier exécutent non seulement les gros articles populaires, mais des étoffes plus luxueuses et relativement bon marché : des peluches, des satinettes, des velours ciselés dont la bigarrure ornementale et les couleurs vives exaltent les imaginations méridionales et levantines. Elles fabriquent même toute une draperie et toute une mercerie funéraire et sacrée, que je ne m’attendais pas à rencontrer là, après avoir vu tant de caisses de bobines, tant de