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En réalité, sitôt que les Espagnols sont mis dans les conditions requises pour travailler, ils accomplissent des prouesses dont nos Français ne sont plus trop capables. Moi qui avais contre eux tous les préjugés anglo-saxons, j’ai dû maintes fois proclamer qu’ils sont des travailleurs infatigables et qui défient à peu près toute concurrence. Je les ai vus à l’œuvre en Algérie et dans leur pays même : ces hommes sont admirables d’endurance, d’énergie et de sobriété. Ce sont les jardiniers de Majorque qui ont créé toute la banlieue maraîchère d’Alger. Et ce sont, en grande partie, leurs compatriotes de Valence et d’Alicante qui ont transformé le Sahel el le Tell algériens en un immense vignoble. Pour défricher, pour moissonner et pour vendanger, nos colons sont obligés de recourir à eux : aucun Français ne voudrait accepter un travail aussi pénible et aussi peu payé. Même en Andalousie, la patrie classique de la paresse, ils se précipitent à la besogne, dès que le moindre appât de lucre leur est offert. Avec quel amour les mineurs d’Huelva collectionnent les beaux sterlings bien trébuchans, que la Compagnie anglaise leur verse chaque quinzaine ! Ces joueurs de guitare ne boudent ni le pic ni la pioche, pour peu qu’ils aient avantage à prendre de la peine. J’ai vécu quelque temps dans un village perdu de la province de Valence : mes hôtes étaient assurément fort pauvres, mais je n’ai pas remarqué qu’ils fussent moins laborieux que nos paysans français. Ils étaient aux champs, du matin au soir. Avec des outils et des moyens de transport rudimentaires, ils se donnaient beaucoup de mal pour un chétif résultat. Si misérable néanmoins que fût leur vie, ils y gardaient une décence que l’on ne connaît plus guère dans nos campagnes.

Rude manœuvre, l’Espagnol se révèle, quand il le veut, un commerçant très entreprenant et très audacieux. Sans doute ses procédés de négoce sont un peu barbares et arriérés comme ceux des Levantins, — des Grecs, des Syriens, des Juifs et des Arabes. Nul ne s’entend comme lui à mettre une place en coupe réglée. C’est un négrier impitoyable qui a besoin d’être lâché dans la brousse coloniale, pour y pirater à son aise et y déployer toutes ses facultés. Mais, avec ses défauts, sa brutalité, sa ruse carthaginoise, ses instincts d’usurier (je parle surtout, ici, du colonial), il excelle à capturer les banknotes et à édifier des fortunes souvent fort imposantes.

Laissons les cas individuels. Il est certain qu’il ne manque