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nature. Ils ont confiance en eux-mêmes, comme ils ont confiance dans la vie. De là, chez les Catalans, une disposition d’esprit que j’appellerais, sans trop forcer les termes, le sentiment de la gloire. Ils sont glorieux, non seulement de leur énergie et de leur activité, mais aussi de leurs personnes, de leurs costumes et de leurs corps. Ici, on ose s’habiller à sa fantaisie et sans crainte du qu’en-dira-t-on. On a l’air déluré, hardi, combatif des gens qui vivent au grand air. Nos Parisiens ont des mines chambrées qui m’affligent toujours, quand je reviens des pays méridionaux. En hiver surtout, ils me navrent, enveloppés qu’ils sont dans leurs lainages, comme des convalescens, avec leurs allures timides de gens qui sont peu sortis. Et, ce qui est désolant, surtout, chez les nôtres, c’est cet effroi maladif de dépasser l’alignement et de se faire remarquer. On dirait que, par une basse jalousie égalitaire, ils s’attristent de la splendeur d’autrui. Ils tremblent d’éblouir le voisin. A Barcelone, au contraire, le voisin veut être ébloui.

Sans doute, notre effacement systématique annonce plus de goût et une conception plus sage de l’univers. Nous pensons peut-être y tenir moins de place que ces robustes Catalans, et rien n’est plus conforme à la raison comme à la modestie. Mais ce sont là scrupules de vieilles gens. Des enfans vigoureux, qui ont foi dans leur vigueur et dans leur avenir, conçoivent toutes choses à la mesure de leurs appétits, de leurs ambitions et de leurs espérances. Et c’est pourquoi les Barcelonais, avec l’instinct de la gloire, ont la manie de la grandeur. Ils auraient inventé, au besoin, le style colossal. Qu’il y ait dans cette tendance beaucoup de puérilité, je le confesse volontiers. Moi-même, j’ai raillé ailleurs les Allemands d’aujourd’hui sur leur propension au kolossal. Ce qui excuse cet engouement pour l’enflure, c’est qu’il s’allie presque toujours à la force réelle. Tous les peuples, à leurs époques impériales, ont recherché la grandeur jusqu’à l’emphase. Nous en fîmes autant, sous Louis XIV et Napoléon. Versailles est colossal comme l’Arc de triomphe. Les Barcelonais qui visent à l’Empire, n’ont pas manqué d’obéir à cette espèce de loi historique. Quand il s’est agi d’agrandir leur ville, ils lui ont tracé un plan aussi gigantesque que strictement géométrique. La nouvelle Barcelone, — l’actuel Ensanche, — est déconcertante par l’ampleur et la longueur de ses avenues. Je songe, en écrivant cela, à ces interminables et uniformes boulevards qui s’intitulent