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si, par une basse servilité démagogique, on n’avait pas laissé nos arsenaux tomber dans l’anarchie, notre marine ne serait pas dans le délabrement où elle se trouve et que, avec quelques dizaines de millions de dotation de moins, uniquement destinées aujourd’hui à réparer en partie les fautes du passé, elle serait dans un état plus digne de la France ?

Nous croyons que l’Allemagne, atteinte depuis dix ans de la mégalomanie navale, ne pourra pas développer davantage, comme elle en annonçait l’intention, son programme de constructions à outrance ; elle sera arrêtée par la résistance de la population aux impôts nouveaux, et par les succès électoraux des socialistes, vers lesquels se tournent, à titre de protestation, beaucoup plus que par conviction doctrinale, tous les mécontens. Le refus du vote d’impôts nouveaux, l’élection de candidats le plus nettement hostiles au gouvernement, ce sont les deux seuls procédés qu’ait un peuple pour arrêter les folies gouvernementales ; ce sont les doux freins légitimes et nécessaires ; les Allemands en usent avec raison ; il serait à désirer que les Français et les Anglais se missent à y recourir également.

L’Allemagne a inventé la politique sociale ; elle l’a fait, il y a un quart de siècle ; tous les peuples maintenant prétendent l’imiter ; mais ils l’imitent fort mal. Toute réserve faite sur le principe de ses assurances sociales obligatoires, on doit reconnaître que l’Allemagne a apporté un admirable esprit d’ordre et de mesure dans la création et le fonctionnement de ces organismes. Voilà un quart de siècle qu’ils fonctionnent, car ils datent de 1883 et de 1884. Or, l’Empire allemand s’est arrangé de façon que presque tous les frais en soient faits par les intéressés ; il n’y contribue lui-même que pour une somme des plus modiques, qui ne montait qu’à moins de 61 millions de francs (48 757 608 marks) en 1906[1] et qui peut atteindre, pour l’année courante, 65 à 66 millions de francs. Voilà tous les sacrifices que fait l’Empire allemand pour l’ensemble de ses assurances ouvrières ; c’est de la philanthropie à bon marché, philanthropie intelligente d’ailleurs, puisqu’elle ne gaspille pas les deniers publics, qu’elle se contente de fournir des cadres et des règles aux intéressés, en leur allouant quelques subventions, très étroitement mesurées.

  1. Statistisches Jahrbuch für das Deutsche Reich, 1908, p. 318.