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les peignent au vif l’un et l’autre : « Je consens, lui dit le baron, à me lier avec vous et à vous rapprocher de la Reine ; j’y ferai ce que je pourrai. Il vous est plus aisé qu’à qui que ce soit de parvenir à gagner son amitié ; vous êtes gai, très aimable ; en l’amusant, vous pourrez l’instruire. C’est un des devoirs de la place où le Roi vous a mis, et celui qui peut le plus contribuer au bien des affaires et à l’agrément de la Cour. »

C’était prêcher un converti. Maurepas comprit à demi-mot et accepta de se prêter à ce qu’on désirait de lui. La Reine, de son côté, fut aisée à convaincre. Une entrevue fut arrangée entre elle et le Mentor. Une fois de plus, Maurepas promit son dévouement, Marie-Antoinette sa confiance ; ils échangèrent les plus gracieux propos. Louis XVI, qu’on avait eu soin d’avertir, entra pendant cette scène touchante : « Sire, s’écria Maurepas, vous voyez l’homme le plus heureux, le plus pénétré des bontés de la Reine, et qui n’existera dorénavant que pour lui en témoigner sa reconnaissance et lui prouver son zèle ! » La Reine parla de même, toutefois avec moins de chaleur : « J’ai reconnu, dit-elle, que j’étais dans l’erreur au sujet des sentimens de M. de Maurepas. Je vous déclare que je suis contente de lui. » Le Roi, rapporte l’abbé de Véri, « courut alors à elle pour l’embrasser, en serrant d’une de ses mains celle de M. de Maurepas. La Reine, se soulevant de son canapé pour répondre aux caresses du Roi, laissa tomber sa coiffure, que M. de Maurepas se trouva à portée de relever, tandis qu’il se baissait pour baiser la main du Roi. Tout cela produisit un mélange d’attendrissement et de gaîté[1]. »

Un accommodement analogue eut lieu entre Maurepas et la comtesse de Polignac, qui, jusqu’alors, plutôt méfiante à l’égard du vieil homme d’Etat, fit soudain volte-face et prôna ses mérites avec une telle ardeur que quelques personnes de la Cour en conçurent des soupçons : « J’ai découvert et fait voir à la Reine, mande l’ambassadeur autrichien[2], que la comtesse de Polignac était manifestement gagnée et conduite par le comte de Maurepas. Mes preuves à cet égard ont acquis le plus grand degré d’évidence à la suite des propos que la comtesse a hasardé d’insinuer, pour persuader la Reine qu’il serait de son intérêt de déterminer le Roi à nommer le comte de Maurepas premier

  1. Journal inédit de l’abbé de Véri, passim.
  2. Lettre du 13 avril 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.