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la base de son gouvernement reste chancelante. Avec des formes beaucoup plus douces et plus courtoises que celles de M. Clemenceau, il a donné à sa majorité la même impression que son prédécesseur, à savoir qu’il l’estimait peu. Médiocrité, indignité, impuissance de la majorité radicale, et néanmoins nécessité de situation pour le ministère de la faire vivre, de la faire sortir de nouveau du scrutin d’arrondissement avec les mêmes tares congénitales qu’autrefois, il y a tout cela dans le discours de M. Briand. Et la majorité en a sottement ordonné l’affichage ! Inadvertance un peu forte, car ce discours la déconsidère en même temps qu’il lui donne un certificat de vie.

La séance finale dans laquelle la représentation proportionnelle a été votée, puis rejetée, au milieu de manœuvres parlementaires où le pays aura de la peine à se retrouver, a eu lieu le 8 novembre et s’est prolongée jusqu’à 10 heures et demie du soir. La discussion étant enfin épuisée, quatre ou cinq députés radicaux-socialistes, braves gens sans malice, ont déposé des motions dont l’objet commun était de renvoyer le projet à la Commission. Il aurait été plus franc, plus loyal de le mettre aux voix et de le repousser puisqu’on n’en voulait pas. Mais qu’aurait dit le pays ? Il ne fallait pas s’exposer à son mécontentement. Le procédé du renvoi, quoique détourné, était encore trop simple. En conséquence, les motions d’ajournement ont succombé sous le poids de très fortes majorités. Alors, le président a mis aux voix le passage à la discussion des articles, qui a été voté par 383 voix contre 143. La Chambre semblait donc accepter le principe de la loi, sauf à en discuter les détails d’application. Cependant on aurait eu tort de le croire, et on n’a pas tardé à s’en apercevoir. Non pas tout de suite : il y a eu encore deux votes : l’un, en faveur du scrutin de liste, a réuni 379 voix contre 142 ; l’autre, en faveur de la représentation proportionnelle, 281 voix contre 235. Encore une fois, la réforme l’emportait. Un grand trouble, ou du moins un grand bruit a suivi la proclamation du scrutin. Était-ce vrai ? Était-ce possible ? Il serait plus juste de demander : Était-ce sincère ? Non, ce n’était pas sincère. La majorité, qui avait successivement voté les deux parties essentielles de la réforme, était décidée à voter contre l’ensemble. Elle voulait pouvoir dire aux électeurs qu’elle avait voté la réforme, mais que le gouvernement s’y était opposé pour de sérieuses raisons d’opportunité et qu’elle avait dû reculer. Aussi se tournait-elle, éperdue et confiante, du côté de M. Briand. Celui-ci a compris qu’il y avait là pour lui un moyen de rentrer en grâce : il s’est opposé au vote