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contes, me semble être, d’une extrémité à l’autre du monde, ce que l’on pourrait appeler la consécration populaire du nombre « trois. » Que le narrateur dont on nous reproduit les paroles soit Allemand ou Patagon, Brésilien ou Serbe, Polonais, Sicilien, Bassouto, Japonais, — et combien d’autres races nous parlent, à côté de celles-là, dans les recueils de M. Lang ! — ou bien que nous entendions tel érudit gallois ou tel fermier irlandais, toujours le roi et la reine, le pêcheur et sa femme, auront trois fils, à moins qu’ils aient trois filles ; et toujours le troisième enfant réussira où auront échoué les deux autres, et toujours ses épreuves, ses exploits guerriers, ses transformations, auront à se répéter trois fois avant que nous puissions passer à la suite de l’histoire. Coïncidence singulière, en vérité, si nous voulons admettre qu’elle dérive simplement d’un hasard ; et que si, au contraire, nous préférons y voir le résultat d’une imitation, ne semble-t-il pas que le mystère s’épaississe encore, autour de cette hypothèse bizarre d’un conte primitif s’imposant, d’emblée et pour toujours, à toutes les races qui habitent la terre ?

Après quoi il convient de déclarer que le recueil nouveau des Contes Irlandais ne se compose pas uniquement de ces histoires « internationales, » et que parfois les sujets eux-mêmes y présentent une part très notable d’originalité, — par exemple dans un petit nombre de récits du genre « héroïque, » évoquant les combats ou la glorieuse mort de tels jeunes chefs qui équivalent, là-bas, à ce que représentent pour nous les chevaliers de la cour d’Arthur ou de Charlemagne. Déjà l’on a pu voir que l’histoire de la Tête parlante de Donn-bo n’avait que d’assez vagues rapports avec l’ordinaire des légendes « héroïques » des autres nations ; et non moins foncièrement « irlandais » apparaîtraient à coup sûr, s’il m’était permis d’insister sur l’innombrable détail de leurs péripéties, d’autres contes ou poèmes guerriers tels que l’Arrivée de Finn, la Naissance de Cuchulain, ou la Poursuite du Gilla Dacker. Aussi bien tout cela, soit que nous le Usions en prose ou en vers, est-il beaucoup plutôt des « poèmes » que des « contes, » avec une hauteur et une pureté d’inspiration lyrique, une beauté de langue, et souvent une certaine monotonie dans l’allure, qui diffèrent infiniment des qualités que nous montrent les récits voisins. Mais, sous cette diversité extérieure, je ne puis assez dire à quel point le recueil entier est animé d’un même esprit populaire, ni combien la plus parfaite fleur de l’âme irlandaise s’y laisse vraiment sentir et cueillir à chacune des pages, depuis les grands poèmes tragiques consacrés aux exploits de Finn ou de Cuchulain jusqu’aux