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pendant quinze jours. Il le pouvait d’après le dicton qu’avaient répété les âges :


En tout pays où le vent vente
L’abbé de Cluny a rente.


On va vérifier la vérité de cet adage. Au moment de la Révolution, parmi les dignitaires, en dehors du prieur, du sous-prieur, du trésorier, du cellérier, nous trouvons le censitaire, chargé d’enregistrer les cens et les rentes. L’heure a sonné pour lui de rendre des comptes à d’autres qu’à ses supérieurs. Le 31 janvier 1791, la municipalité de Cluny se présente pour les demander au nom de la nation. Ils accusent, outre la dotation des religieux, pour la part de l’abbé, 200 000 livres de revenus. Cette somme ne prouve pas qu’il « eût rente en tout pays où le vent vente, » mais 200 000 livres de supplément étaient un chiffre même pour un cardinal de La Rochefoucauld. S’il y avait quelque déchet sur les richesses d’antan, la perte était bien plus grave au spirituel qu’au temporel. Les quatre cents moines d’autrefois étaient à peine quarante dans l’immense édifice, et à la demande qui leur fut faite s’ils voulaient ou non persévérer dans leur état, deux seulement optèrent pour la vie commune.


VII

Cette attitude de grands monastères nous dit quel profond changement s’était opéré dans les dispositions de beaucoup de religieux. Sous l’ancien régime, la profession monastique était une renonciation complète à soi-même et à la société. Les trois vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, atteignaient l’homme dans sa propriété, dans sa volonté, dans son corps, c’est-à-dire dans trois de ses libertés les plus chères. Lors de la discussion ouverte à ce sujet, on avait entendu à la Constituante des diatribes véhémentes contre ces engagemens qu’on qualifiait d’attentat aux Droits de l’homme.

Parmi ces droits, il y avait tout d’abord celui de posséder, auquel portait atteinte le vœu de pauvreté. A défaut de dotation territoriale, la Constituante assure une pension aux moines qui quittent le cloître. Ce mot de pension revient fréquemment dans leur correspondance, ou dans les réponses qu’ils font aux interrogatoires des enquêteurs. Jouir d’une pension, c’est avoir conquis