Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/409

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

votre fée Carabosse et rassurez l’amour-propre de ma figure qui vous plaira donc comment qu’elle soit. Charmante assurance pour ma pâleur, qui du reste ne m’a jamais tourmentée. Quelle que soit la forme, l’image de Dieu est là-dessous ! » Il est enfin convenu qu’Eugénie, se rendant à Paris pour le mariage de Maurice à l’automne de 1838, gagnera de là le château des Coques en Nivernais où se trouve à ce moment la baronne. « La translation de l’ermite est décidée ! Il n’y a plus qu’à laisser faire la Providence ! »

Ce premier séjour à Paris de Mlle de Guérin débute pourtant de façon assez austère, en dépit des modestes fêtes du mariage de son frère : elle habite à ce moment chez sa future belle-sœur, rue du Cherche-Midi : elle se couche à dix heures comme au Cayla et « se sent à Paris comme n’y étant pas. » Elle visite quelques monumens, quelques musées, surtout nombre d’églises, entend beaucoup d’offices et beaucoup de sermons. Le bal de noces, le premier bal de sa vie, lui semble « un joli enfantillage. » Au total, cet assaut préliminaire des séductions mondaines n’est pas des plus dangereux : l’enchanteresse n’est pas encore là qui va lui ouvrir toutes grandes les portes d’une société raffinée dont rien ne la rapproche à ce moment.

Barbey d’Aurevilly, l’ami intime de Maurice de Guérin, s’était montré fort impatient de connaître cette sœur lointaine dont il admirait, lui aussi, le talent. Voici sa première impression après qu’on l’eut présenté à la voyageuse, le 8 octobre 1838 : « Vu Mlle Eugénie de G… N’est pas jolie de traits et même pourrait passer pour laide si on peut l’être avec une physionomie comme la sienne. Figure tuée par l’âme, yeux tirés par les combats intérieurs, un coup d’œil jeté de temps en temps au ciel avec une aspiration infinie : air et maigreur de martyre : lueur purifiée, mais ardente encore d’un brasier de passions éteintes seulement parce qu’elles ne flambent plus… Mais tout, tout n’est pas consommé, et le démon, comme parle cette pieuse et noble fille, pourrait être encore le plus fort dans cette âme, si le démon se donnait la peine d’être beau, fier, éloquent, passionné, car le Diable de diable trouverait là à qui parler ! »

Il insiste ensuite longuement sur tout ce que la sœur de Maurice lui semble posséder de distinction naturelle et de politesse non apprise : « Que Mlle de G… fasse faire une robe chez Palmyre, et l’on jurera qu’elle n’a jamais quitté le faubourg