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s’est comme placé en face de la Faucille construite et on a tout décidé comme si le rêve ardent du Jura, de la Savoie et de Genève avait été subitement réalisé par une fée bienfaisante.

Ceux qui ont assez de foi pour croire à la vertu pratique des « distances virtuelles » peuvent dès aujourd’hui laisser leurs esprits optimistes courir sur les voies doublées de Saint-Gingolph-Bouveret, et choisir à leur gré la rive septentrionale ou la rive méridionale du lac Léman, la ligne suisse ou la ligne savoisienne, entre lesquelles par avance la sagesse des nouveaux Salomons a coupé et tranché trafic et recettes, pour la plus grande satisfaction des parties adverses !

Le gouvernement de Genève, partagé entre les exigences de son énergique loyalisme suisse et les aspirations de ses très nobles ambitions genevoises, s’était trouvé pris entre la France et la Confédération, entre la Savoie et le canton de Vaud, et avait fait preuve dans ces dernières années de lutte d’une réelle habileté. Tant que la question d’un nouveau tunnel transalpin n’était pas mûre, et que Genève était médiocrement assurée de la sympathie des C. F. F., le Conseil d’État genevois ne pouvait guère accepter que l’on discutât le raccordement des deux gares. Dans la séance du 8 février 1906, le conseiller Vincent représentant le gouvernement déclarait en plein Grand Conseil : « La question du raccordement n’est pas posée, et on ne songe pas à la poser.  » Il fallait à tout prix maintenir au projet de la Faucille sa signification primitive de voie d’accès au Simplon. Tactique fructueuse : c’est à ce titre, en effet, que la Faucille a pu être discutée par la Conférence, et que la Conférence des voies d’accès au Simplon a fini par libérer la Faucille de cet enchaînement limitatif et fatal au tunnel du Simplon, en lui accordant, en lui promettant son pont sur le Rhône. La Faucille n’est plus dès lors la voie coudée, tordue, presque illégitime, une sorte de rejeton mal venu du Simplon ; elle recouvre toute sa stature rectiligne, elle devient la grande voie droite, voie d’accès vers Genève, voie d’accès vers la Savoie, peut-être même un jour voie d’accès vers un nouveau tunnel franco-italien[1]. C’est là un avantage appréciable au

  1. Ce dernier projet est d’ailleurs bien délicat et complexe, même aux yeux de ceux qui en sont les partisans ; il offre des difficultés de divers ordres, sur lesquelles nous ne voulons pas insister ici. Ajoutons enfin que pour certains la Faucille reste avant tout un projet de voie d’accès au Simplon, et nous devons a la vérité de dire que l’ambassadeur de France à Berne est de ceux-là.